AVANT-PROPOS
Le Béarnais disait à ses amis : « On ne me rendra justice qu'après ma mort ! ». Le comte de Montalivet nous a dit avoir
entendu souvent le Roi Louis-Philippe répéter ces douloureuses paroles de son aïeul Henri IV.
Tant de révolutions ont bouleversé la France depuis cent ans, qu'avec l'injustice naturelle aux partis, on a souvent mal
apprécié les événements. Les préjugés ont laissé s'accréditer les erreurs, car plus on est proche des révolutions, moins bien on les juge. Après plus d'un demi-siècle, les passions sont
calmées, les documents surgissent à l'appui des récits, la vérité se dégage alors, et illumine de sa clarté les périodes mal connues de notre histoire.
La génération actuelle connaît, peu ou mal, la vie d'un Prince, qui joua un grand rôle dans l'histoire de son pays, et
qui peut être considéré comme un des meilleurs souverains que la France ait possédés. Raconter en détails l'existence très accidentée du dernier Roi des Français, depuis sa naissance,
en 1773, jusqu'à sa mort, en 1850, nous a paru une chose utile, nécessaire même, à nous qui depuis notre enfance professons pour ce Roi une admiration d'autant plus grande, que nous l'avons
entendu attaquer avec une incroyable partialité.
En écrivant ces pages, nous nous sommes appliqué à ne froisser personne, et à respecter toutes les convictions. A l'aide de
documents puisés aux sources les plus sûres, en recherchant nos notes, alors que, dans notre jeunesse, nous vivions dans l'intimité d'un des meilleurs amis du Roi, le comte de Montalivet, un de
ses exécuteurs testamentaires, nous avons eu pour but d'éclairer les indifférents, et de dissiper des préventions injustifiées.
Lorsque Louis-Philippe accepta la Couronne en 1830, il sauva la France de l'anarchie, après avoir tout tenté pour n'être que
le régent du Roi Henri V. Bien peu le savent. Au contraire, n'a-t-on pas dit et répété à satiété, qu'il avait préparé et exploité la révolution, contre le Roi Charles X. Rien n'est plus
inexact. Nous avons l'espoir que le lecteur, après avoir lu le chapitre consacré à la Révolution de Juillet, sera édifié, et reconnaîtra que le Duc d'Orléans, à cette époque, n'avait le choix
qu'entre l'exil ou le trône. Les dix-huit années de grandeur et de prospérité qu'il a données à la France montrent qu'il a agi conformément aux véritables intérêts du pays, et si son cœur a dû
saigner de voir ses parents partir pour un exil immérité, sa conscience a pu lui répondre qu'il n'avait rien négligé pour éviter cette déplorable révolution. S'il avait refusé la couronne,
c'était la République proclamée, c'est-à-dire à l'intérieur l'anarchie, et la fin de la liberté, à l'extérieur, une coalition de l'Europe inquiète et hostile, bientôt la guerre, et peut-être
l'invasion !...
La République, qui use tant les mots sans user les choses, donne-t-elle, aujourd'hui encore, la Liberté, l'Égalité, la
Fraternité, si pompeusement affichées sur les monuments publics ? De 1830 à 1848, on a pu jouir vraiment de cette liberté légale, de cette égalité devant la loi, et de cette fraternité
avare de sang humain, prodigue de clémence, qui furent les caractères distinctifs de la Monarchie de Juillet.
Mais ce n'est point l'histoire de ce règne que nous prétendons écrire ; des plumes plus autorisées que la nôtre s'en sont déjà acquittées. Ce que
nous avons voulu faire, c'est retracer en détails la vie d'un Prince, féconde en anecdotes souvent piquantes, parfois inédites, toujours fort curieuses. L'existence entière du Roi
Louis-Philippe a l'intérêt d'un véritable roman, où se succèdent les aventures les plus étranges. Pour tout lecteur impartial des pages que nous venons d'écrire, il ressortira ce fait éclatant
: c'est qu'en 1792, en 1814, comme en 1830 et en 1848, ce Prince fut, avant tout, et en toutes circonstances, un grand et sincère patriote, préoccupé toujours, et
exclusivement de son pays, qu'il aimait passionnément.
Nous avons fait suivre notre travail d'un grand nombre de documents inédits et de lettres autographes, du Roi Louis-Philippe
et de sa famille, ainsi que des Ducs d’Orléans, depuis Louis XIV jusqu'à nos jours. La plus grande partie de ces pièces provient du cabinet du Roi Louis-Philippe. Depuis quarante ans, mon père
d'abord, moi ensuite, nous avons acheté en ventes publiques la presque totalité de ces documents, examinés par l’excellent et intelligent expert, Étienne Charavay, qui en a reconnu
l'authenticité absolue.
On y verra en leur plein jour la bonté du Roi
Louis-Philippe, en même temps que son véritable et constant souci des intérêts de l'État ; l'inépuisable charité de la Reine Marie-Amélie, cette mère admirable, s'oubliant elle-même quand il
s'agissait, pour ses fils, de servir la France. On connaîtra mieux, la sœur du Roi, Madame Adélaïde, à l'esprit droit, élevé, et d'une intelligence supérieure ; tous ces Princes d'Orléans,
enfin, au cœur chevaleresque, aimant ardemment la France, tellement qu'un homme d'esprit les comparait avec justesse à la vraie mère du jugement de Salomon s'écriant : « J'accepte tout, tout,
pourvu que l'enfant vive !... ».
Nous avons dû faire un choix dans les nombreux dossiers que nous possédons, et par une respectueuse déférence pour d'augustes
et vénérées mémoires, garder par devers nous bien des pièces intimes. Mais, avec les 130 lettres ou documents inédits que nous donnons aujourd'hui, nous sommes certain que le lecteur
s'expliquera notre admiration pour le Roi Louis-Philippe, la Reine Marie-Amélie et leurs enfants, et qu’il comprendra la vivacité de nos sentiments à leur égard.
Ce Roi honnête homme et scrupuleux observateur des lois, a légué son patriotisme à ses enfants et petits-enfants. Si ce
volume sert à mieux faire connaître et apprécier, par mes concitoyens, l’aïeul de Mgr le Comte de Paris, ce Prince qui, en réparant les maux dont nous souffrons, peut seul préparer l’avenir
avec un gouvernement vraiment national, royale parole, « le droit pour base, l’honnêteté pour moyen, la grandeur morale pour but », si le lecteur, comparant le passé avec le présent,
envisage quels biens précieux la France a perdus avec la Monarchie, et sans relâche, sans découragement, travaille à les lui rendre, l'auteur aura la plus belle, la plus douce récompense
qu'il ait jamais pu rêver.
LE MARQUIS DE FLERS.
Septembre 1891.
NDLR : Le format du blog ne permet pas de reproduire les lettres en
fac-similé ajoutées dans ce livre, mais celles en texte le seront au fil des chapitres…