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2 septembre 2008 2 02 /09 /septembre /2008 07:59
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le septième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE VII
Le Duc d'Orléans encourage les lettres et les arts (1817-1830). - Bonnes relations avec le Duc de Berry. - Trait de géné­rosité. - Monument de Corneille à Saint-Roch. - Éducation des jeunes Princes, ses fils. Ses observations sur les cahiers de ses fils. - Louis-Philippe pendant le règne de Charles X. - Sa réserve et ses sages conseils au Roi. - Bal au Palais-­Royal (29 mai 1830). - Les ordonnances du 26 juillet 1830.

 


            De retour en France, le Duc d'Orléans se con­sacra tout entier au soin d'élever ses enfants, et de liquider la lourde succession de son père, afin que les créanciers ne perdissent rien. Ami des lettres et des arts, il s'entoura de toutes les nota­bilités, et l'accueil le plus bienveillant fut fait aux peintres : Gérard, Gros, Géricault, Girodet, Horace Vernet, aux écrivains, notamment à Ca­simir Delavigne et à Alexandre Dumas qui faisait jouer son Henri III avec succès au Théâtre-­Français. Il savait aussi avec un tact et une dé­licatesse rares, consoler et indemniser les esprits indépendants de la persécution ou de l'injustice du Gouvernement.

 

Les relations du Duc et de la Duchesse d'Orléans avec la Famille Royale étaient excellentes.

« Le Duc de Berry avait toujours eu les meil­leurs sentiments pour le Duc d'Orléans et pendant l'émigration l'avait toujours défendu contre les rancunes des royalistes intransigeants. A partir de 1817, les rapports devinrent fréquents et in­times entre le Palais-Royal et l'Élysée. La Duchesse d'Orléans aimait à raconter qu'en 1819, au moment de la naissance de Mademoiselle, M. le Duc de Chartres, entendant les premiers coups de canon, avait dit : « C'est ma femme ou mon roi qui vient au monde. » Après son réta­blissement la Duchesse de Berry, dès qu'il lui fut permis de sortir, se rendit au Palais-Royal avec son mari pour remercier Mme la Duchesse d'Or­léans de ses soins. On amena Mademoiselle. Elle était sur les genoux de la gouvernante des enfants de France, quand le Duc de Berry, se souvenant de la réflexion du jeune Duc de Chartres, lui dit : « Chartres, allez donc embrasser votre femme ». Le jeune Prince rougit, mais n'avança point ; on s'amusa de sa timidité (1).

Beaucoup d'anciens militaires, débris de nos grandes armées, blessés pour la plupart, étaient réduits à la misère, pauvres honteux qui souf­fraient en silence. Un bureau de secours fut établi au Palais-Royal, pour venir en aide à toutes les infortunes. Un jour un des secrétaires du Duc d'Orléans lui demanda un secours de cinq cents francs pour un homme de lettres. Le Prince, pré­occupé, parlait d'un important discours prononcé par le Président du Conseil : l'entretien se pro­longeait, quand on vint avertir le Prince qu'il était attendu à son Conseil. « A propos, dit-il, vous m'avez demandé mille francs pour une famille malheureuse ? - Mille francs ! Monseigneur, c'est une erreur qu'il faut bien se garder de re­lever. - Vous avez raison, mon ami ; les erreurs des Princes coûtent souvent si cher, que je ne suis pas fâché que la mienne profite à ces pauvres gens. » Et au lieu de cinq cents francs, il remit un billet de mille francs. Le Duc d'Orléans rece­vait chez lui les grands orateurs libéraux des deux Chambres comme le général Foy, Dupin, Laffitte, Casimir Périer, le duc de Broglie ; il ne déguisait pas son opinion sur les fautes du gou­vernement, et quand l'occasion s'en présentait, il s'en expliquait franchement avec le Roi.

Il n'avait pas oublié son vieux compagnon d'armes, le général Dumouriez, et lui servait une pension de six mille francs en Angleterre, où l'an­cien vainqueur de Valmy mourut, en 1823, âgé de 85 ans.

Les cendres du grand Corneille reposaient à l'église Saint-Roch, non loin du Palais-Royal. Aucune inscription ni monument ne le désignait. Le Duc d'Orléans y fit placer le beau médaillon en marbre que l'on voit aujourd'hui, offrant en bas-relief l'image de Corneille.

Le Prince voulut que ses fils profitassent de l'éducation publique. Il les envoya de bonne heure suivre les cours des collèges, à Paris. Confondus avec les autres élèves, ils ambitionnaient, comme eux, les prix universitaires et apprenaient à ne pas connaître que des cour­tisans. Louis XVIII eut, à cette occasion, un mo­ment de mauvaise humeur, quoique le Duc d'Or­léans lui eut rappelé qu'Henri IV avait été envoyé aux écoles publiques du Béarn, et plus tard, le Prince de Condé, à Paris. Des professeurs, MM. de Boismilon, Larnac, Trognon, Cuvillier-Fleury, s'occupaient spécialement, en dehors du collège, des répétitions et des récréations des jeunes Princes. Louis-Philippe se faisait remettre chaque jour des notes sur le travail et la conduite des enfants, et toujours elles étaient renvoyées avec des observations écrites de sa main. Ces notes sont vraiment curieuses ; elles ont été écrites de 1820 à 1824 (2). En voici quelques-unes : M. de Boismilon écrit :

 

Jeudi, 30 mars 1820.

Le Duc de Chartres (alors âgé de dix ans) n'a pas assez de tenue avec Becker, et fait souvent bien des choses qui rebutent cet excellent homme, il est vrai que c'est en badinant, mais il arrive à un âge où il est bien impor­tant qu'il s'habitue à une sorte de réserve et de maintien dans ces rapports-là.

 

Le Duc d'Orléans inscrit au-dessous :

 

Je dirai à Chartres qu'on ne doit badiner qu'avec ceux à qui leur position dans le monde permet de nous le rendre. Or, comme Becker doit nécessairement s'en abs­tenir avec lui, il y a, à la fois inconvenance, mauvais goût, et défaut de tact à se le permettre avec lui. C'est, en outre, un mauvais exemple à donner à ses frères et sœurs, et il faut que Chartres se corrige absolument de cette mauvaise habitude.

 

Lundi 19 avril 1824. (Sur le Prince de Joinville âgé de six ans.) Écriture et calcul. Bien. Idem pour le rudiment et l'allemand au soir. Catéchisme, rudiment, explication, conjugaisons latines : Bien. Mal, pour l'emploi du temps. Conduite : il n'a pas été docile en promenade. Il a encore cueilli des fleurs dans le parc, quoique Monseigneur l'ait réprimandé hier à ce sujet.

 

Le Duc d'Orléans ajoute :

 

Si Joinville continue à s'amuser à la dévastation, il me forcera à prendre des mesures sévères pour l'en corriger. II ne doit rien cueillir sans en avoir demandé et obtenu la permission. Il s'est bien conduit dans le bateau, et en considération de cette bonne conduite, je lui pardonne le reste pour cette fois. J'espère qu'il ne me donnera pas lieu de regretter cette indulgence.

 

Jeudi, 22 avril 1824.

Le travail du matin a été très bien. Avant sa leçon d'allemand, il m'a promis qu'on serait content de lui, il m'a tenu parole : On a été très content de lui et il semble avoir voulu effacer les deux mauvaises notes consécutives qu'il avait eues.

Le travail du soir a été presque aussi bien.

La conduite est à l'unisson du travail.

 

Le Duc d'Orléans écrit après ces lignes :

 

J'ai été aussi fort content de l'effet que lui ont fait mes exhortations d'hier et celles de sa tante ce matin. J'es­père que cet effet sera durable, et il s'en trouvera bien, car nous l'en aimerons tous davantage.

 

Un autre jour on reproche encore au jeune Prince de Joinville d'avoir la mauvaise habitude, quand il entre quelque part, de se mettre en pos­session de toutes les clefs qu'il trouve sous sa main, et son père l'en réprimande.

...

Si nous nous sommes étendus sur ces menus détails, c'est pour montrer combien était véritable et grande cette sollicitude de tous les instants du Duc d'Orléans pour ses enfants dès leur plus jeune âge, combien il surveillait de près leur première éducation. Nous verrons plus tard que Louis-Philippe en fit, non seulement des Princes, mais des hommes éminents, des militaires braves, hardis, intrépides au feu, et dignes en tous points de leur père, comme de leurs aïeux.

Depuis le mariage du Duc de Berry avec une nièce de la Duchesse d'Orléans, la princesse Marie-Caroline de Naples, le Duc d'Orléans pa­raissait un peu plus souvent à la cour. Mais Louis XVIII ne l'aimait pas, et lui refusa obsti­nément le titre d'Altesse Royale. Le Prince était qualifié Altesse Sérénissime, pendant que la Duchesse d'Orléans était Altesse Royale !... Louis XVIII redoutait l'immense popularité du Duc d'Orléans, ce Prince qui répondait, lorsqu'on était surpris de voir dans sa galerie de tableaux les batailles de Montmirail et de Champaubert : « C'est que j'aime tout ce qui est français ! ».

Charles X, à son avènement au trône (1824), répara l'injustice de Louis XVIII : le Duc d'Or­léans reçut le titre d'Altesse Royale, et le Roi per­mit au Prince de Condé d'assurer le domaine de Chantilly, avec sa fortune, au quatrième fils du Duc d'Orléans, le Duc d'Aumale (né le 16 janvier 1822). Deux ans après, la Duchesse d'Orléans donnait le jour à son cinquième fils, le Duc de Montpensier (31 juillet 1824).

Cependant Charles X, cédant à de funestes conseils, accumulait fautes sur fautes. Après avoir renvoyé le ministère présidé par M. de Mar­tignac, homme d'État d'un grand mérite, qui aurait consolidé le trône, il prit, contre le vœu des Chambres, un cabinet de combat, dont la présidence fut donnée à M. de Polignac. La Chambre dissoute le 17 mai 1830, l'armée fran­çaise en route pour venger l'affront du Dey d'Alger à notre consul, le gouvernement se crut maître de la situation. Il allait bientôt être cruel­lement déçu.

Le 31 mai, le Duc d'Orléans reçut chez lui Charles X au Palais-Royal. Le bal était donné en l'honneur du roi de Naples, de passage à Paris. La fête était superbe ; toute la famille royale y assistait. C'est à ce bal que le comte de Salvandy, félicitant le Duc d'Orléans, lui dit cette phrase devenue célèbre : « C'est une fête toute napoli­taine, Monseigneur, car nous dansons sur un volcan. - Je le crois comme vous, lui répondit le Prince, mais je n'aurai pas à me reprocher de ne pas avoir ouvert les yeux au Roi ; que voulez-vous ! rien n'est écouté. Je ne sais où nous mènera cette politique dans six mois, mais je sais bien où je serai. Ma famille et moi nous ne quitterons pas le Palais-Royal, quelque danger qu'il puisse y avoir à y demeurer; je suis décidé à ne plus séparer mon sort, et celui de mes enfants, de celui de mon pays ; c'est mon irrévocable résolution. »...

Les élections eurent lieu, et la défaite du gou­vernement fut complète. Les 221 membres de l'opposition furent tous réélus. On n'attendait plus que la nouvelle de la prise d'Alger. Le canon annonça la victoire, et dans le Te Deum à Notre-­Dame, l'archevêque de Paris osa dire au Roi que « cette victoire était le présage d'une plus impor­tante encore ».  

Le dimanche 25 juillet, Paris était calme. Tout à coup le lundi 26 paraissent les ordonnances royales, qui supprimaient les garanties essen­tielles de la liberté, inscrites dans la Charte. Il ne convient pas à notre sujet de raconter en dé­tails la Révolution de Juillet. Nous nous bornerons à retracer brièvement le rôle joué par le Duc d'Orléans, et l'impartiale histoire doit recueillir les efforts peu connus, faits par ce prince pour déterminer Charles X à lui confier le Duc de Bordeaux, dont il aurait été le régent.

Mais remontons quelques jours en arrière.

« Dix jours avant le 31 juillet, M. de Sémonville se promenant après le dîner, dans le parc de Neuilly, avec le Duc d'Orléans, profita d'un mo­ment où M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie, s'éloignait, pour dire au Prince : - Monseigneur, avez-vous des chevaux ? - Sans doute, pourquoi la question ? - Des chevaux de main je n'en doute pas, mais des chevaux de poste ? -  Que voulez-vous que j'en fasse ? – Ah ! c’est que d'ici peu de jours vous en aurez besoin. - Vous croyez, demanda le Prince, avec une expression singulière. - Oui, vous aurez à faire un de ces trois voyages, Saint-Cloud, Paris ou Londres. ­– Ah ! bah ! Sémonville, il (3) vient d'envoyer les lettres closes,... il n'y a rien à craindre... Venez mercredi, faire votre visite de digestion ; vous verrez qu'il n'y aura rien de plus...

Le mercredi indiqué, M. de Sémonville ne pût pas faire sa visite, parce que... c’était le 28 juillet ! mais le samedi suivant le Duc d'Orléans montait à cheval et faisait le voyage... de l'Hôtel-de-­Ville (3). »

 

(1) La Cour de Louis XVIII,par Imbert de Saint-Amand ; chez Dentu, éditeur.

(2) Les pièces originales font partie de la collection d'autographes de M. le marquis de Flers.

(3) Le Roi Charles X venait de convoquer les Chambres.

(4) Mémorial de l'Hôtel-de-Ville de Paris (1830), par M. Hippolyte Bonnelier, ancien secrétaire de la commission municipale, gouverne­ment provisoire (Paris, Houdaille, éditeur, 1835).


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