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6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 06:14
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le huitième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE VIII 
La Révolution de Juillet. - Déclaration des députés. - Le Duc d'Orléans à Neuilly puis à Paris. - Abdication de Charles X. - Le Duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume. ­La mission du colonel Caradoc auprès de Charles X. Cu­rieux détails. - Les dépêches du Duc de Wellington. - Hé­sitations du Duc d'Orléans. - Louis-Philippe Ier, Roi des Français. - Traits de bonté envers la branche aînée de la famille royale. - Lettre du Roi s'opposant à la confiscation de Chambord. - Courage de Louis-Philippe pendant l'émeute du 6 juin 1832. - Les trois députés chez le roi. ­Sa popularité.

 

Pendant que le peuple combattait à Paris, et que les régiments de la ligne passaient à l'insur­rection à la vue du drapeau tricolore, le Duc d'Orléans se tenait à Neuilly entouré de sa famille, à l'exception du Duc de Chartres qui se trouvait à Joigny avec le régiment dont il était colonel. Chaque coup de canon produisait la plus vive émotion: « Pauvre Paris ! Pauvre France !... » s'écriait douloureusement le Prince.

Le jeudi 29, le Louvre et les Tuileries étaient pris comme la veille l'avait été l'Hôtel-de-Ville; on annonça, à onze heures, à Neuilly, la retraite des troupes sur Rambouillet où était Charles X. MM. Dupin et Persil, députés, vinrent le lende­main apprendre au Duc d'Orléans qu'une quaran­taine de députés, réunis chez M. Laffitte, avaient résolu de conférer au Prince le titre de lieutenant-­général du royaume, en l'invitant à se rendre immédiatement à Paris. Voici quel était le texte exact de la résolution prise par les députés :

 

La réunion des Députés actuellement à Paris, a pensé qu'il était urgent de prier S.A.R. Monseigneur le Duc d'Orléans de se rendre dans la capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant-général du royaume et de lui exprimer le vœu de conserver les couleurs nationales. Elle a, de plus, senti la nécessité de s'occuper sans relâche d'assurer à la France, dans la prochaine session des Chambres, toutes les garanties indispensables pour pleine et entière exécution de la Charte.

Paris, ce 30 juillet 1830 (1).

 

Suivent les signatures.

La Duchesse d'Orléans et Madame Adélaïde répondirent que le Duc n'était plus à Neuilly. Il ne revint du Raincy que le soir, et lut, au flambeau, dans le parc, la résolution des quarante députés auxquels, depuis le matin, s'étaient joints beau­coup de leurs collègues. Inspiré par le seul désir de sauver Paris et la France du désordre qui pouvait suivre une insurrection si formidable, le Duc d'Orléans, accompagné de MM. de Berthois, Heymes et Oudard, vêtus tous en bourgeois, avec la cocarde tricolore, rentra au Palais-Royal, le 30 au soir, par la maison de la rue Saint-Ho­noré, 216, n'entendant sur son passage, à tous les postes, que les cris de : « Vive la Charte! ». Le lendemain matin, 31 juillet, la lutte avait cessé, et on lisait sur tous les murs la pro­clamation suivante :

 

Habitants de Paris !

Les Députés de la France, en ce moment réunis à Paris, m'ont exprimé le désir que je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant-général du royaume. Je n'ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre héroïque popu­lation et à faire tous mes efforts pour vous préserver des calamités de la guerre civile et de l'anarchie.

En rentrant dans la ville de Paris je portais avec orgueil les couleurs glorieuses que vous avez reprises et que j'avais moi-même longtemps parlées.

Les Chambres vont se réunir et aviseront aux moyens d'assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation.

La Charte sera désormais une vérité.

LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS.

 

Les députés se rendirent officiellement, en corps, au Palais-Royal, pour saluer le Prince et l'accompagner à l'Hôtel-de-Ville. Le Duc d'Or­léans, à cheval, traversa au pas une foule immense qui l'acclamait sur son passage, et telle était sa popularité que pas un cri discordant ne retentit. Il fut reçu à l'Hôtel-de-Ville par la commission municipale, parut au balcon avec le général de Lafayette, tenant à la main le drapeau tricolore et, quand il revint au Palais-Royal, l'ovation fut telle, qu’il eut peine à s'y soustraire. Et cet enthousiasme du peuple parisien était sincère, car dans cette foule, sans police pour la maintenir, un attentat impuni eût été si facile !...

Le soir, à neuf heures, la Duchesse d'Orléans et ses enfants arrivaient au Palais-Royal.

La première ordonnance du lieutenant-général prescrivit de reprendre les couleurs nationales, et la seconde, de convoquer les Chambres pour le 3 août.

Charles X confirma cette nomination de lieu­tenant-général du royaume, à Rambouillet, par ordonnance royale du 1er août, et, dans la nuit du 2 au 3 août, le Duc d'Orléans reçut la double abdication du Roi et du Duc d'Angoulême en faveur du Duc de Bordeaux. Le 3 eut lieu l'ou­verture des Chambres, et le 4, le Moniteur annonça que la double abdication de Charles X et de son fils avait été déposée aux archives de la Chambre des Pairs.

Pourquoi le Prince insista-t-il pour le dépôt aux archives de l'acte d'abdication du roi Char­les X, alors qu'il avait déjà le pouvoir en mains, sans le titre de Roi qu'on allait lui offrir ? Parce que, quoiqu'en aient dit certains écrivains, le Duc d'Orléans, soutenu en cela énergiquement par la Duchesse d'Orléans, envisageait avec peine, avec douleur même, la nécessité dans laquelle il allait se trouver d'être Roi. On a cru, chez ce Prince honnête et grand politique, à une ambition démesurée, et à je ne sais quelle cons­piration permanente contre les aînés de sa race. Nullement, et nous allons prouver que c'est bien malgré lui qu'il fut proclamé Roi des Français le 9 août 1830.

A peine le Duc d'Orléans avait-il reçu la double abdication dans la soirée du 2 août, qu'il s'adressa à lord Stuart, ambassadeur d'Angleterre à Paris, pour qu'il autorisât un officier anglais, le colonel Caradoc (depuis lord Howden), attaché à l'ambassade d'Angleterre, à aller trouver Charles X de la part du nouveau lieutenant-général du royaume. Lord Stuart et le colonel Caradoc y consentirent, et le fait est relaté en détails dans deux publications (2).

Voici ce qui se passa :

Le colonel se rendit au Palais-Royal le 3 août, et le Duc d'Orléans lui remit un billet qui fut cousu dans le collet de son habit ; il était ainsi conçut : « Croyez, sire, tout ce que le colonel Caradoc vous dira de ma part. Louis-Philippe d’Orléans ». Le colonel, malgré les ordres sévères donnés aux barrières, parvient sans passeport à sortir par la barrière de l’Etoile, où il était connu. Il prend la poste, et arrive à deux heures de distance de l'endroit où Charles X et la famille royale s'étaient arrêtés pour passer la nuit, puis il monte à cheval et continue sa route à travers champs. Charles X le reçoit avec empressement el lui demande avec anxiété des nouvelles de Paris. L'officier anglais lui raconte tout ce qu’il sait, remet au Roi des journaux et, lui montrant la lettre du Duc d'Orléans, lui fait part des propositions de son cousin. Puis il fait entrevoir au Roi que la présence du jeune Duc de Bordeaux aux côtés du lieutenant-général était indispensable pour rendre courage à ses partisans, et décider la Chambre des Pairs à se prononcer. Il lui fait remarquer quelle importance avait le dépôt aux Archives de l'acte d’abdication, ca il rappelle à tous qu'un enfant innocent est enveloppé dans le naufrage de la Monarchie. Il insiste pour ramener avec lui le Duc de Bordeaux. Le Roi fait immédiatement mander la Duchesse de Berry, la met au courant de la situation, et lui déclare qu'il est tout disposé à accepter. La Du­chesse de Berry fait les plus vives objections, et ajoute qu'elle ne croirait jamais l'enfant en sû­reté loin d'elle-même. Le colonel se retire alors, et deux heures après, repart pour Paris, pendant que trois commissaires, MM. de Schonen; Odilon-Barrot et le maréchal Maison, nommés par le Gouvernement provisoire à Paris, arrivaient au­près de Charles X pour protéger sa retraite jus­qu'à Cherbourg, où toute sa famille s'embarqua avec lui le 16 août.

Les trois commissaires s'acquittèrent avec tact de leur délicate mission, et purent prévenir des excès auxquels une population égarée et surexcitée aurait pu se livrer. M. Odilon-Barrot raconte, dans ses Mémoires, qu'à la fin de ce voyage, la Du­chesse de Berry faisant sans doute allusion à la mission du colonel Caradoc, lui avait dit : « Que serait-il arrivé si je m'étais rendue à l'Hôtel-de-­Ville, et si j'avais placé le Duc de Bordeaux sur les genoux du Duc d'Orléans ? - Madame, ré­pondit-il, il est probable que ni vous, ni moi, ne serions ici.

Le duc de Wellington était alors le chef du ministère anglais, et les événements qui se pas­saient à Paris le plaçaient dans une situation difficile. C'était au moment des élections générales anglaises et de l’agitation réformiste. L’excitation des esprits était extrême contre les torys, et le duc de Wellington sentait bien que le pouvoir allait lui échapper. Il était à la fois de mauvaise humeur contre Charles X et contre le gouvernement provisoire français, redoutant les complications qui peut-être allaient surgir, et compromettre la paix de l'Europe. Des instructions très nettes avaient été envoyées à l'ambassadeur d’Angleterre à Paris, lord Stuart de Rothsay, lui prescrivant la neutralité la plus absolue. Il fut donc très irrité quand lord Aberdeen lui envoya une lettre de l'ambassadeur et le rapport dans lequel le colonel Caradoc rendait compte de la mission qui lui avait été confiée par le Duc d'Or­léans. Aussi, dans sa réponse à lord Aberdeen, le août 1830, le duc de Wellington ne cache pas sa mauvaise humeur...

 

« Lord Stuart ne paraît pas se douter que dans l'état où se trouve Paris, ce qui peut être vrai un jour ne l'est plus le lendemain. Lorsque le Duc d'Orléans demandait que le Duc de Bordeaux fut laissé en France auprès de lui, et indiquait que c'était la seule chance de sauver la dynastie, l'intervention de lord Stuart aurait pu servir à quelque chose, à la condition de ne pas mettre en cam­pagne une des personnes attachées à l'ambassade, et même, dans ce cas, cette intervention de l'ambassadeur aurait été contraire aux intentions de son gouvernement et aux principes que ce gouvernement a toujours soute­nus. Mais c'était au moment où il recevait l'acte d'ab­dication du Roi, que le Duc d'Orléans s'était adressé à lord Stuart. Les événements accomplis entre cet ins­tant et le départ du colonel Caradoc tendaient à établir en France un nouvel ordre de choses, et à faire passer la couronne au Duc d'Orléans. C'est alors que le colonel Caradoc presse Charles X de laisser en France son petit-­fils, en lui disant que c'est le seul moyen d'amener le peuple à se prononcer en sa faveur !

Supposons que le Roi suive ce conseil, et qu'il laisse en France son petit-fils, qu'un parti se déclare pour lui, et que la guerre civile s'ensuive ? Sur qui portera la responsabilité ? Nous aurons beau jurer nos grands dieux que nous n'y sommes pour rien, personne ne voudra croire que lord Stuart ait agi sans ordres, et l'on sera convaincu que nous avons voulu pousser à la guerre civile. Supposons que le jeune Prince vienne à périr, nous serions à jamais déshonorés. Mon seul espoir est que le bon sens du Roi Charles X, et son affection pour son petit-fils, l'empêcheront de suivre le conseil absurde qu'on lui donne, et de prêter l'oreille aux détestables arguments qu'on emploie pour le convaincre. »

 

Le 16 août, le duc de Wellington écrit encore à lord Aberdeen : ...

 

« Je ne crois pas que nous puissions laisser lord Stuart à Paris. Son intervention auprès de Charles X sera connue aussitôt que les Commissaires qui ont accompagné ce Prince à Cherbourg seront de retour, et le gouvernement anglais sera compromis par cette folle démarche. Nous ne pouvons avouer que Louis-Philippe désirait voir le Duc de Bordeaux rester en France, et que lord Stuart s'est chargé de communiquer ce désir au Roi. Nous n'avons donc pas autre chose à faire que de le rap­peler... »

 

Il restera donc acquis à l'histoire que le Duc d'Orléans, avant d'accepter la couronne, chercha à faire proclamer Roi le Duc de Bordeaux. Était-il sincère ? Ses actes dans les jours qui suivirent la Révolution de Juillet le prouvent. Que l'on veuille bien remarquer que le colonel Caradoc, messager du Duc d'Orléans, n'était pas seulement chargé de demander que le Duc de Bordeaux restât en France, mais de le ramener à Paris avec lui, si Charles X y avait consenti. Le Duc d'Orléans était ainsi dans l'impossibilité de se délier. Or, le Prince devait croire que le Roi accueillerait d'autant mieux l'envoyé, que c'était un diplomate connu de lui, et de nature à lui inspirer toute confiance. On a vu plus haut qu'en effet Charles X songea à remettre le jeune prince au colonel Ca­radoc ; il le savait homme d'honneur, et l'inter­vention de l'ambassade anglaise dans cette affaire était une garantie de la sincérité du Duc d'Or­léans.

Il est évident que la présence du jeune Duc de Bordeaux à la Chambre des députés, aux côtés du nouveau lieutenant-général du royaume, entrant, tenant par la main le royal enfant, aurait donné du courage à ses partisans et aurait peut-être décidé les Chambres en faveur d'Henri V. La publication de l'acte d'abdication de Charles X au Moniteur rappelait aussi à ceux qui se pré­paraient à disposer du trône, qu'un enfant inno­cent était enveloppé dans le naufrage de la mo­narchie, et mettait l'opinion publique en demeure de se prononcer.

Le colonel Caradoc revint à Paris, et parut fort surpris que le Duc d'Orléans ignorât encore l'échec de sa mission auprès de Charles X. Il rendit compte en détails, à Louis-Philippe, de l'insuccès de sa démarche et du refus absolu op­posé par la Duchesse de Berry.

Le nouveau lieutenant-général du royaume avait eu soin, jusqu'alors, de donner constam­ment au nouveau gouvernement un caractère essentiellement provisoire. Dans ses proclama­tions, dans ses discours à l'Hôtel-de-Ville et aux Chambres, il ne parlait que du respect dû à la Charte, et de la nécessité de la maintenir. Le Moniteur lui ayant fait dire dans sa proclamation : Une Charte sera désormais une vérité, il faisait rectifier le lendemain et insérer ; le lieutenant-­général a dit : La Charte sera désormais une vérité.

Le Duc d'Orléans avait su choisir pour la dé­licate mission auprès de Charles X le colonel Caradoc, qu'il considérait comme un loyal, in­telligent et brave officier ; cette mission ayant échoué, on lui fit observer que le provisoire ne pourrait durer longtemps sans laisser tous les partis livrés à de folles espérances, et exposer ainsi le pays à des déchirements intérieurs qui amè­neraient la guerre civile. On insista de toutes parts pour qu'une résolution décisive fut prise, main­tenant que toute entente était devenue impossible avec la branche aînée de la Maison de Bourbon.

Le Duc d'Orléans attendit cependant encore un jour avant de céder, s'entretint de la situation avec le prince de Talleyrand, et fit prendre l'avis des principaux membres du Corps diplomatique accrédités à Paris, lord Stuart de Rothsay, le comte Pozzo di Borgo, le baron de Werther, le comte Appony. Ceux-ci envisagèrent la Révo­lution de 1830 comme le pendant de la Révolu­tion de 1688 en Angleterre ; ils engagèrent donc vivement le Duc d'Orléans à accepter la couronne. On assure même que, dans une entrevue secrète au Palais-Royal, M. Pozzo di Borgo dit au lieute­nant-général : « Acceptez la couronne, Mon­seigneur, c'est le plus grand service que Votre Altesse Royale puisse rendre à l'Europe, à l'ordre et à la paix ».

Frappé par ces unanimes sympathies, et aussi par les nouvelles de la province, où le nouvel état de choses avait été acclamé, où la vue du drapeau tricolore provoquait partout un enthou­siasme indescriptible, le Duc d'Orléans accepta enfin résolument le nouveau rôle qu'il était appelé à remplir après cette révolution prévue par lui, mais qu'il avait tout fait pour empêcher, en donnant à Charles X des conseils qui ne furent jamais écoutés.

Le 9 août 1830, les Chambres appelaient au trône Louis-Philippe d'Orléans, Duc d'Orléans. Celui-ci, après avoir prêté serment à la Charte constitutionnelle, fut proclamé Roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Peu de jours après, Charles X étant sans res­sources, envoya un de ses amis à Paris, pour emprunter 600 000 francs. Celui-ci s'adressa au nouveau Roi, en lui montrant le message où il était dit que Charles X avait besoin de 600 000 francs en or, et que le porteur devait faire en sorte de les lui procurer. Louis-Philippe écrivit immédiatement au baron Louis, ministre des finances, en déclarant qu'il couvrirait le trésor de cette avance, et les 600 000 francs furent remis entre les mains du général X., qui les porta le jour même à Charles X, sans lui dire comment il avait pu se les procurer. Trois se­maines plus tard, le Roi Louis-Philippe rachetait le haras de Meudon au Duc d'Angoulême, le payant 100 000 francs, le double de l'évaluation présentée par l'administrateur du haras, au nom du prince. Enfin, l’année suivante, le Roi Louis­-Philippe apprit qu’une partie des effets de Charles X avait été saisie en Écosse, que la liberté même du vieux Roi était compromise. Un de ses créanciers de la première émigration, M. de Pfaffenhoffen avait vainement réclamé devant les Chambres françaises pendant toute la Restauration, de 1815 à 1830 , et poursuivant son royal débiteur, il s’armait de toute la rigueur des lois françaises et anglaises. Louis-Philippe fit rechercher, sans tarder, l’impitoyable créancier, avec ordre à son mandataire, de traiter à tout prix avec lui. L’affaire, activement conduite par M. Casimir Périer, fut heureusement et  promptement terminée. Au moyen du paiement immédiat de 100 000 francs, et de la constitution d'une rente annuelle et viagère de 10 000 francs payable par avance, le comte de Pfaffenhoffen renonça au bénéfice du jugement qu'il avait obtenu en Écosse contre le Roi Charles X. Ce Prince ignora tou­jours les dangers qu'il avait courus.

Un peu plus tard, on voulut confisquer Cham­bord, et le Roi Louis-Philippe s'y opposa avec énergie. Voici ce qu'il écrivait alors de sa propre main :

 

Je préviens Monsieur le Président du Conseil des Mi­nistres, que ma conscience et mon serment ne me per­mettant pas de sanctionner aucune mesure contraire à. la Charte, je regarderais comme synonyme de la confis­cation, qu'elle a proscrite impérativement, tout séquestre et toute obligation de vendre des biens possédés en France, quel que fût le délai alloué pour faire ses ventes, car, selon ma conscience, toute obligation de vendre est une confiscation.

LOUIS-PHILIPPE.

Ce mercredi, 23 mars 1831.

 

Noble et beau langage chez un souverain n'hé­sitant pas à s'opposer à ses ministres et à se montrer plus soucieux du respect absolu de la propriété que ne devait l'être un autre Chef d'État en 1852.

Le Roi félicita vivement le Président du tribunal de Blois, M. Bergevin, député de Loir-et-­Cher en 1846, du jugement fortement motivé, par lequel le tribunal maintenait M. le Comte de Chambord en possession du château et de la terre que le Gouvernement avait prétendu le forcer à aliéner.

L'année suivante, en juin 1832, la France entière put constater combien était grande alors la popularité du Roi Louis-Philippe.

Les républicains, qui sentaient leur cause perdue dans l'opinion publique, crurent la rétablir par une insurrection. Les obsèques du général La­marque servirent de prétexte. Dans la soirée du 5 juin 1832, des barricades furent élevées dans les rues Montmartre, Saint-Denis, Saint-Martin, et le cloître Saint-Méry fut le centre de la résistance.

Dès que le Roi eut connaissance, à Saint-Cloud, de la gravité des événements, il dit à la Reine, qu'il partait pour Paris. Celle-ci lui répondit qu’elle l’y accompagnerait. Mais  Louis-Philippe, sans attendre que l’escorte fut prête, monta à cheval à 9 heures et demie du soir, suivi seulement de quelques­ officiers. Des paysans, sur la route, le saluèrent des cris de : « Vive le Roi !... il n’a pas peur, c’est un brave !...     .

Dès son arrivée aux Tuileries, il visita les postes, et de là se rendit au Carrousel, où élait la première légion de la garde nationale et un régiment de ligne. Partout il fut chaleureusement acclamé : « Que ne puis-je, disait-il, parcourir ainsi toutes les rues ! ma présence ferait plus que les coups de fusil, mais on m'attaque, je dois me défendre. Au reste, mes amis, soyez tranquilles, tout cela sera peu de chose, car le peuple est avec nous !...    

A minuit, les ministres étaient réunis au Palais des Tuileries, et demandaient que la ville fut immédiatement déclarée en état de siège. Le Roi fit ajourner la décision au lendemain. A 6 heures du matin, il alla voir les gardes nationales de la banlieue, qui étaient descendues à Paris pendant la nuit.

Le 6 juin à 11 heures, Louis-Philippe montait à cheval, accompagné du maréchal Soult, ministre de la guerre, et du comte de Montalivet, ministre de l'intérieur. Il passa en revue les troupes réu­nies sur la place de la Concorde et les Champs-­Élysées. Puis il suivit les boulevards jusqu'à la place de la Bastille, se rendit à la barrière du Trône, en parcourant le faubourg Saint-Antoine, et revint, par les quais, aux Tuileries.

Si la cause du Roi n'eût pas été populaire, elle le serait devenue dans cette journée, de l'aveu même de l'opposition. Près de la rue Planche-­Mibray, un coup de fusil fut entendu à une cin­quantaine de pas du lieu où se trouvait le Roi. On lui fit observer qu'il s'exposait beaucoup : « Mes enfants sont ma meilleure cuirasse, ré­pondit-il ». D'une barricade peu éloignée, on vit un ouvrier agiter sa casquette, en criant : « Bravo, le Roi !... et peu après, la barricade était aban­donnée par des hommes qui comprenaient déjà la folie de leur criminelle tentative.

Pendant que la garde nationale et l'armée risquaient leur vie pour la défense de l'ordre, trois députés de l'opposition, MM. Laffitte, Arago et Odilon-Barrot sollicitaient une audience du Roi : elle leur fut accordée sur l'heure. On verra plus loin comment nous sommes en mesure d'éclaircir, par un document autographe venant du cabinet du Roi, un des points essentiels de cette conversation qui, en somme, n'était qu'une longue récrimination et une injuste critique de tous les actes du Gouvernement.

Pendant ce temps, le canon grondait : Fardeur de la garde nationale, qui montra un courage remarquable, et qui fut vigoureusement secondée par l'armée, amena promptement la fin de cette émeute. La lutte la plus sanglante avait eu lieu au cloître Saint-Méry et rue Saint-Martin. Quand la tranquillité eût reparu, la mise en état de siège de Paris fut établie pendant quelque temps, sur les nouvelles instances de M. Thiers, malgré l'avis contraire du Roi, qui ne céda que lorsque la majorité du Conseil des ministres se fût 'pro­noncée pour cette mesure.

Grâce à la sagesse, à l'habileté et à la crois­sante popularité de Louis-Philippe, non seule­ment l'émeute fut réprimée partout, mais le gou­vernement s'affermit, appuyé, soutenu, encouragé par la province autant que par Paris. La pré­sence du Roi dans les rues, son courage froid, tranquille, pendant l'émeute, son affabilité avec les habitants qui l'approchaient très facilement, et qui pouvaient tous l'entretenir quelques instants, enthousiasmèrent la garde nationale et la popu­lation.

Il y eut, plus tard, d'autres émeutes, les factieux sont incorrigibles, mais le peuple, qui sait se souvenir, résista longtemps aux plus violentes excitations et soutint la monarchie jusqu'au jour où le Roi, trop confiant et vieilli, laissa ses nouveaux ministres, Thiers et Odilon-Barrot, re­fuser au maréchal Bugeaud le droit d'écraser une poignée d'insurgés. Que ne se souvenait-il de 1832 !...

 

              (1) La pièce originale fait partie de la collection d'autbographes de M.le marquis de Flers: Le fac.similé en est reproduit ci-contre.

              (2) Correspondance de Donoso Cortez publiée en 1880 par le comte d'Antioche, clans uu volume intitulé : Deux diplomates.

             - Dépêches, correspondances et mémorandums du feld-maréchal, duc de Wellington, 2e série, tome VII. (Le tome VII a paru à Londres en 1878.)

 


 

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