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15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 00:00
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci est le dernier chapitre.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

 

 

CHAPITRE XII

Le dernier exil. - Les premiers mois en Angleterre. - Mala­die de la Reine. - Arrivée de la Duchesse d'Orléans avec ses enfants (1849). - Le Roi à Saint-Léonard. - Visite à Sir Robert Peel. - Le Hoi Louis-Philippe et la fusion. - ­Note de M. Guizot sur la fusion. - Réponse de M. le Comte de Chambord. - Note de M. de Montalivet sur la fusion. - ­Première communion, à Londres, de Mgr le Comte de Paris (juillet 1850). - Les derniers moments du Roi Louis-Phi­lippe. - Sa mort chrétienne (26 août 1850). - Ses obsèques. - Son testament. - Conclusion.

 

Les premiers jours passés au château de Cla­remont, par le Roi Louis-Philippe, la Reine, le Duc et la Duchesse de Nemours, le Duc et la Duchesse de Montpensier, la Princesse Clémen­tine, furent très tristes. La détresse de la Reine était extrême. Elle se trouvait sans linge, et n'ayant qu'une seule robe, celle avec laquelle elle avait quitté les Tuileries (1). Les augustes exilés, rassurés sur le sort de la Duchesse d'Orléans et de ses enfants réfugiés en Allemagne, n'avaient aucunes nouvelles d'Afrique, où se trouvaient le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale. Quelques journaux laissaient entendre que ces princes étaient partis pour l'Amérique. Tout à coup, dans la nuit du 20 au 21 mars, au moment de se coucher, le Roi et la Reine furent prévenus qu'on entendait une voiture dans le parc : « Ce sont mes enfants », s'écrie la Reine en proie à la plus vive émotion. C'étaient le Prince et la Prin­cesse de Joinville, le Duc et la Duchesse d'Au­male, que quelques minutes plus tard, Louis-Phi­lippe et la Reine avaient la joie de presser sur leur cœur...

Le Roi éprouva, peu de temps après, une grande et douloureuse émotion quand, au mois de mai fut votée, par l'Assemblée nationale, la loi de ban­nissement. Les sanglantes journées de juin 1848 ne laissèrent pas indifférente la colonie exilée, et un moment le Prince de Joinville et son frère, le Duc d'Aumale, songèrent à partir pour Paris, malgré tout, pour défendre le pays, attaqué par les pires ennemis de la société.

La France commençait à reconnaître tout ce qu'elle avait perdu à la chute de la monarchie. « L'histoire allait mettre en regard de la simple grandeur et de la prospérité du règne de Louis-­Philippe les hontes et les misères de la Révolu­tion de 1848. Ce fut tout à la fois le châtiment de notre époque et l'enseignement de l'avenir », a dit, avec justesse, le comte de Montalivet.

Au mois de novembre, la visite de la Reine des Belges, la fille dévouée du Roi, vint calmer, pendant quelques jours, l'amertume de l'exil.

Tout à coup, tous les Princes tombèrent malades, empoisonnés par les eaux du château qui servaient à la cuisine. Des tuyaux de plomb en étaient la cause. Le Roi, avec sa famille, quitta Claremont pendant le temps des réparations, et s'installa à Richmond, au grand hôtel du Star and Garter qu'il avait habité en 1815 et 1816. Les Princes furent promptement rétablis, mais il n'en fut pas de même de la santé de la Reine, dont la santé donna les plus vives inquiétudes.

Leurs Majestés furent, à cette époque, fort attristées par la mort de fidèles amis qui les avaient suivis en exil. M. Vatout, récemment nommé membre de l'Académie française, avait succombé le 3 novembre, et n'avait pu même aller prendre possession de son fauteuil, Mme la Comtesse de Montjoie, ancienne dame d'honneur de Madame Adélaïde, mourut le 3 décembre, et quelques mois après, la Marquise de Dolomieu sa sœur, dame d'honneur de la Reine, la suivait au tombeau.

Au commencement de mars 1849 seulement, la Reine fut en convalescence, et pour hâter son complet rétablissement, le Roi alla s’établir à Saint-Léonard, près d'Hastings, sur la côte de Sussex. Ce n'est qu'au mois de mai que l’air de la mer lui rendit toutes ses forces. Pendant ce séjour, Louis-Philippe reçut beaucoup de visites de Français, heureux de saluer le vieux Roi exilé, qui avait laissé en France tant de regrets. Ces marques nombreuses de dévouement, qui ve­naient le chercher sur la terre d'exil, ne trou­vèrent pas Louis-Philippe insensible. Mais il ne se faisait aucune illusion et ne croyait pas à une réaction qui, aux yeux de beaucoup cependant  paraissait certaine.

L'événement prouva plus tard que si cette réaction se porta sur un Bonaparte, dont le nom n'était pas encore usé, rien n'aurait empêché qu'elle pût se faire au profit de la Maison de Bourbon réconciliée...

Un jour, dans une conversation avec un de ses meilleurs serviteurs, qui lui exposait les raisons qui lui faisaient croire que la République dispa­raîtrait bientôt : «  Tout est possible en France, s'écria le Roi ; mais rien n'y durera, parce que le respect n'y existe plus ».

Au mois de juin 1849, l'arrivée, à Saint-Léo­nard, de Mme la Duchesse d'Orléans, qui venait de Weimar avec ses deux fils, causa au Roi une grande joie. La Princesse fut si touchée des efforts affectueux que toute la famille royale fit pour la retenir, qu'elle promit de revenir au printemps de 1850, pour la première communion du Comte de Paris.

L'automne se passa à Claremont, dans une triste tranquillité. La Reine, entièrement rétablie, consacrait tous ses soins au Roi, dont rien n’annonçait alors la fin. Plus que jamais ont distinguait toutes les exquises qualités de Louis-Philippe ; son esprit était aussi clair, sa mémoire aussi fidèle, sa conversation aussi pleine de charme. Rentré en possession de ses biens, il avait pourvu à l'extinction progressive de toutes ses dettes, dettes contractées pour le bien de la France  (2).

Le 18 décembre 1849 il se départit de ses habitudes de retraite, et fit, au château de Drayton-Manor, une longue visite à sir Robert Peel, qui avait présidé le Cabinet Anglais en 1844. Le célèbre homme d'État, qui appelait la Révolution de Février « un effet sans cause », le reçut en Roi, Louis-Philippe fut sensible aux paroles suivantes que Robert Peel lui adressa, à la fin du lunch suivant l'usage anglais.

 

« Sire, nous vous avons dû la paix du monde ; chef d'une nation justement susceptible, justement fière de sa gloire militaire, vous avez su atteindre ce grand but de la paix, sans jamais sacrifier aucun intérêt de la France, sans jamais laisser porter aucune atteinte à son honneur, dont vous étiez plus jaloux que personne. C'est surtout aux hommes qui ont siégé dans les Conseils de la Cou­ronne britannique qu'il appartient de le proclamer. »

 

Au milieu des tristesses de l'exil et en face de la mort prochaine, le vieux Roi déchu a dû trou­ver dans cet hommage d'un étranger, la consola­tion à tant d'injustices françaises (3). A son retour à Claremont, il exprima le plaisir qu'il avait éprouvé dans cette excursion.

C'est à cette époque que Louis-Philippe sentit combien une réconciliation sincère entre tous les membres de la Maison de Bourbon était né­cessaire et utile à la France. Ce fut un des der­niers vœux manifestés par le Roi. Non seulement M. Guizot était entré sans réserve dans ces idées. Sa correspondance nous révèle combien le Roi Louis-Philippe les favorisait de tout son pouvoir et les appuyait de toute son autorité. Le Roi disait à M. Guizot en juillet 1850 :

«  Mon petit-fils ne peut régner au même titre et aux mêmes conditions que moi, qui ai fini par échouer. Il ne peut être que roi légitime, soit par la mort, soit par l'abdication de M. le Duc de Bordeaux, soit à son tour. Mais je n'ai, quant à présent, ni résolution à prendre, ni démarche à faire. Je n'ai qu'à attendre. C'est un grand mal que la désunion de la Maison de Bourbon : je n'y ajouterai pas le scandale de la désunion dans la Maison d'Orléans. Il faut que tous les miens soient de mon avis. Tous mes fils en sont, mais ce n'est pas tout. Il me faut du temps (4). »

Toutefois, ni le Roi Louis-Philippe, ni M. Gui­zot n'estimèrent que ce fut assez dans les circons­tances où se trouvait alors le pays, de former des vœux platoniques en faveur de la fusion. Avec les conseils, avec les encouragements du premier, le second se mit en mesure de faire parvenir à M. le Comte de Chambord l'expression des idées qui avaient cours au château de Claremont, et de préparer le terrain à une solution qui, dès cette époque, était chère aux meilleurs esprits. M. Gui­zot rédigea donc, à la fin de l'année 1850, une note développée, sur les conditions dans lesquelles pouvait s'accomplir la réconciliation des partis monarchiques.

Cette note est une des pages les plus judi­cieuses et les plus élevées qui soient sorties de la plume de l'illustre homme d'État qui, après avoir défini ce qui doit appartenir en propre aux légitimistes et aux orléanistes dans l'exercice du gouvernement royal, posait ainsi ses conclusions :

 

En 1830, une grande, une très grande partie de la nation s'est sentie attaquée, et mise en péril dans ses droits, dans ses intérêts, dans son honneur. Elle a fait ou approuvé, contre le droit monarchique, une révolution. A tort ou à raison, elle n'a pas cru pouvoir défendre par un autre moyen ses intérêts, son honneur, ses droits. La révolution faite, le pays et son gouvernement nouveau se sont efforcés de l'arrêter, de la régler, d'en faire sortir, sous un prince de la Maison de Bourbon, une monarchie constitutionnelle. Cette monarchie a duré dix-huit ans, elle a maintenu l'ordre légal en France et la paix en Europe. Pendant dix-huit ans, la France a vécu libre et prospère. Nul autre gouvernement, depuis soixante ans, n'a duré davantage et n'a plus sincèrement et plus libé­ralement gouverné. En 1848, ce gouvernement a été sou­dainement renversé. Sans regarder plus avant, sans rechercher les causes secondaires de sa chute, on est en droit de dire qu'il ne possédait pas toutes les conditions vitales de la durée.

« Ce sont là deux grands faits qui planent maintenant sur tous les partis, et qui, pour M. le Comte de Chambord et pour la France, doivent présider à toute politique. On peut dire que Dieu a parlé. La France doit recon­naître que le respect du droit monarchique et l'union des partis monarchiques sont indispensables à la monarchie. M. le Comte de Chambord doit reconnaître que la monar­chie de 1830 a été nationale et légale, et qu'elle a sauvé la France de l'anarchie. Par cette attitude simultanée, ni M. le Comte de Chambord, ni la France n'abandonnent leur dignité et leur droit. Ils se rapprochent sans se renier. Ils rendent ensemble hommage à la vérité et à la nécessité. »

 

«  La note de M. Guizot fut mise sous les yeux de M. le Comte de Chambord par l'intermédiaire de M. le duc de Noailles. Le Prince l'examina avec l'attention qui lui était due, et y répondit, comme on sait, par une des plus magnifiques lettres de sa correspondance. M. le Comte de Chambord, après avoir rendu hommage à la supériorité d'esprit, à la haute capacité et à la longue expérience de M. Guizot ajoutait : « Je les ai lues (ces pages) avec d'autant plus d'intérêt et de satisfaction que, sur la plupart des points et à quelques différences près, je partage les pensées et les vues qu'elles expriment.

« C'est donc le programme tracé par M. Guizot d'une main si magistrale en 1850, qui s’est exécuté en 1873. Libre au parti républicain de traiter de haut l'évolution si patriotique et si nationale que les conservateurs accomplirent alors, mais ce que nous contestons à nos adversaires, c'est de pouvoir prétendre qu'elle a eu lieu en opposition avec les traditions respectives des deux partis monarchiques. En réalité, leur union, désormais indissoluble, est au même degré l'œuvre du Roi Louis-Philippe et de M. le Comte de Chambord (5). »

Nous trouvons un autre témoignage non moins important des sentiments du Roi sur la fusion. Son serviteur et ami dévoué, le comte de Montalivet s’exprime ainsi… :

 

« Louis-Philippe n'a pas su seulement se défendre de tout sentiment amer pour le pays qui l'avait repoussé, dans un jour d'égarement, il n'a pas même désespéré de la France, comme en désespérait Napoléon à Sainte-­Hélène. Son orgueilleuse douleur ne l'a pas condamnée pour toujours à la République ou aux Cosaques. Il croyait encore à la Monarchie et à la grandeur qui l'accompagne. Mais sa haute raison fondait, avant tout, cette espérance sur la réunion des partis monarchiques, qu'il regardait comme la condition nécessaire du salut de la société. Louis-Philippe voulait et conseillait cette grande conci­liation. Il ne la croyait pas moins compatible avec l'hon­neur de sa mémoire et de sa Maison, qu'avec l'avenir de la liberté en France.

« Ce vœu suprême d'une intelligence qui s'est éteinte dans toute sa force, d'un patriotisme, éclairé tour à tour par la puissance et par l'exil, sera-t-il un jour entendu par la France ? Qui pourrait le dire, hélas !... J'ai le droit, du moins, de m'en emparer, pour résumer par un seul trait les sentiments qui éclatent dans les récits de ce livre (6) : la dernière pensée politique de Louis-Philippe a été une pensée d'union et de désintéressement personnel, une victoire remportée sur les préjugés et sur les pas­sions vulgaires. »

 

L'hiver de 1850 fut très rude, et la santé du Roi s'en ressentit. Sans qu'aucun symptôme alarmant ne se fût encore manifesté, au mois de mai, on fut frappé du changement général dans son aspect. On pensa que l'air de Saint-Léonard, dont la Reine s'était si bien trouvée, lui serait aussi favorable, et l'on s'y rendit. Le Roi sembla, tout d'abord, s'en trouver bie, et les beaux jours amenèrent encore en Angleterre beaucoup de Français. Il tenait à les recevoir tous, et prenait un grand plaisir à leurs conservations. Mais, si tous constataient la plénitude de son intelligence, la netteté et la clairvoyance de son esprit, ils sortaient émus et frappés de son visible dépérissement. La Reine des Belges vint à cette époque embrasser son père qu’elle ne devaient plus revoir. Souffrante, dès son arrivée, elle repartit pour la Belgique dès qu'elle put supporter le voyage.

Mme la Duchesse d'Orléans arriva bientôt avec ses enfants, et la prermière communion de M. le Comte de Paris fut fixée au 20 juillet. L'abbé Guelle, qui avait commencé l’éducation chrétienne du jeune Prince au Palais des Tuileries, et qui, depuis deux années, avait fait de fréquents voyages à Eisenach, pour achever sa mission spirituelle, s'était rendu en Angleterre au commencement de juillet.

«  Mme la Duchesse d'Orléans avait très sagement compris combien il importait que le grand acte qui initie l'enfance à la vie catholique s'accomplît, pour son fils aîné, avec la publicité la plus solennelle. C'était en outre un rendez-vous tout naturel à donner aux amis, encore assez nombreux alors, qui ne cherchaient que l'occa­sion d'apporter le témoignage de leur dévouement à la famille royale, dans son exil. Il avait donc été réglé que la cérémonie aurait lieu à Londres dans la chapelle française, avec toute la pompe religieuse que comportaient le lieu et les circons­tances. On ne s'était pas trompé en comptant sur un nombre considérable de Français pour assister à cette auguste et touchante solennité. Il faut bien le dire, le vieux Roi, plus que son petit-­fils, contribua à l'émotion universelle. Il avait voulu, ce jour-là, rajeunir, et en quelque sorte égayer son costume ordinaire, et il n'y eut per­sonne qui ne fut tristement frappé du contraste de ce vêtement avec le visage et la démarche de celui qui le portait. Ce fut Mgr Wiseman, alors vicaire apostolique à Londres, qui célébra la messe. Les paroles qu'il prononça avant et après la communion du jeune Prince, furent d'une par­faite convenance, en même temps que d'une pieuse simplicité. Le Roi en fut très touché, et conserva de toute la cérémonie une grave et pro­fonde impression. Il retourna le lendemain à Claremont (7). » .

Mais les sources de la vie étaient taries chez lui, et le dépérissement général augmentait chaque jour. La Reine le voyait, et avec cette énergie et cette force d'âme, si remarquables chez elle, avait demandé au docteur Gueneau de Mussy de lui dire la vérité sans aucun ménage­ment. Le 25 août, le docteur lui déclara que tout espoir de prolonger la vie du Roi était perdu.

Louis-Philippe avait toujours déclaré son in­tention de mourir chrétiennement. La première communion du Comte de Paris, en le pénétrant d'une émotion toute religieuse, l'avait affermi dans son dessein. Il se sentait mortellement atteint, mais croyait avoir encore quelques mois ou quelques semaines à vivre. A onze heures du matin, la Reine s'agenouilla devant son lit et le conjura de faire appeler l'abbé Guelle. Louis-­Philippe sourit tristement, et interrogea le mé­decin en disant que la Reine exagérait sa situa­tion. Avec beaucoup de ménagements, M. de Mussy confirma le langage de la Reine.

« Allons, il faut prendre congé de tous, dit-il, avec calme et douceur. » Et il ne songea plus qu'à se préparer à mourir en chrétien, en Roi digne de sa race... Toutefois, il se rappela qu'une page de ses Mémoires sur le maréchal Macdonald était restée inachevée. Il fit mander le général Dumas, et avec une grande netteté d'esprit, acheva le passage commencé. Ensuite il resta seul un quart d'heure avec la Reine pour lui dicter quelques dispositions testamen­taires relatives à des amis. Puis il signa le papier, d'une main déjà glacée par les approches de la mort. Il en avait fini avec les choses de la terre, et ne pensa plus qu'à Dieu.

A trois heures après-midi, l'abbé Guelle, son aumônier, entra dans sa chambre. Il était assis dans un grand fauteuil, la Reine se retira aussi­tôt. « Mon cher abbé, dit le Roi, je veux ac­complir ce que j'ai promis. Je possède toutes mes facultés ; et mes devoirs de conscience, je les remplis avec une parfaite connaissance de ce que je fais... Puis il fit le signe de la croix, prononça la déclaration la plus catholique, et se confessa. Lorsque le prêtre lui eut donné l'ab­solution, il dit lentement, avec foi et componc­tion, un acte de contrition dont les termes étaient bien tirés de son cœur : « Vous m'avez fait du bien, dit-il à l'abbé Guelle, mais hâtez-vous de me donner la communion, car je sens que je  m’en vais...

La Reine, les Princes et les Princesses entrèrent, et le Roi les bénit tour à tour. Puis il communia, et demanda à recevoir l'extrême-onction. Pendant que ce sacrement lui était administré, Louis-­Philippe en suivait avec recueillement les rites et les prières. « Vous oubliez les mains, dit-il à l'abbé. Celui-ci lui assura que ce n'était point nécessaire. - Puis se tournant vers la Reine : « Tu es bien contente, n'est-ce pas ? eh bien ! moi, je le suis aussi. »   Oui, répondit la Reine, et j'es­père bientôt te rejoindre !...

On amena ses douze petits-enfants qu'il em­brassa, et bénit. Tous les assistants pleuraient. Qui n'aurait été ému en assistant aux derniers moments de ce Prince que le sort avait si cruel­lement atteint, et dont la résignation chrétienne et le calme étaient si grands.

Vers le soir, la fièvre lui donna une force fac­tice, ce qui lui permit de répéter avec le prêtre la prière du soir. Puis un peu plus tard, se tour­nant vers la Reine : « Ma chère amie, je suis content ; j'éprouve un vrai bien-être de m'être rapproché de Dieu ; je ressens un vrai soulage­ment, et je te promets que si Dieu prolongeait ma vie, j'approcherais régulièrement des sacre­ments ». La nuit s'acheva sans crise, et le matin la fièvre étant tombée, la faiblesse augmenta. Le 26 août à sept heures, l'abbé Guelle le trouva dans son lit avec la même sérénité sur le visage, et dans l'esprit la même liberté. Il se sentait mieux, et ne souffrant pas, il crut avoir encore de longues heures à vivre. Il demanda à l'abbé s'il le croyait bien préparé à mourir. Il voulut prier encore cependant, mais les lèvres purent à peine articuler quelques sons. L'agonie com­mençait : « Mon, bon docteur, dit-il à M. de Mussy, faites revenir l'abbé... Ce furent ses dernières paroles.

Il était près de huit heures. La Reine, Mme la Duchesse d'Orléans avec ses enfants, le Duc de Nemours, le Prince de Joinville, le Duc d'Aumale, les Princesses, la Princesse Clémentine et son mari, et avec eux les fidèles compagnons de leur exil étaient à genoux. L'abbé Guelle renouvela la sainte formule de l'absolution, et commença les dernières prières, en engageant le Prince à s'y associer. Celui-ci, par un signe, répondit affir­mativement. Quelques minutes après, sans lutte, sans souffrances, le Roi rendait le dernier soupir. Il était huit heures un quart... « La Reine lui ferma les yeux, et, montrant à ses fils les restes inanimés de leur père : « Sa dernière pensée, leur dit-elle, le dernier vœu qu'il m'a exprimé, est que vous restiez toujours unis. Promettez-­moi que vous le serez. » Les Princes le pro­mirent, et scellèrent leur engagement en em­brassant leur mère. Puis tous se rendirent en­semble dans la chapelle, où la messe· fut dite pour le repos de l'âme du défunt (8). »

Le propriétaire de la modeste chapelle de Weybridge prêta le caveau de sa famille situé dans un petit jardin. Le 2 septembre eurent lieu les obsèques, au milieu d'un grand concours d'amis venus de tous les points de la France pour rendre leurs devoirs au dernier Roi des Français. Ses restes mortels, et plus tard ceux de la Reine et des autres jeunes Princes et Prin­cesses morts en exil, reposèrent dans ce caveau jusqu'au jour (9) où ils furent transportés en France dans l'église de Dreux. La Reine Marie-Amélie, comme aux funérailles de son fils aîné le Duc d'Orléans, avait assisté à la cérémonie funèbre jusqu'au bout. On l'a dit avec raison : « C'était, dans la plus sublime acception du mot, la femme forte de l'Écriture, forte uniquement parce que la force venait d'en haut à sa faiblesse. »

Lorsque le testament du Roi fut ouvert, on y trouva cette page admirable, datée de mai 1849...

 

« Fasse le Ciel que la lumière de la vérité vienne enfin éclairer mon pays sur ses véritables intérêts, dissiper les illusions qui ont tant de fois trompé son attente, en le conduisant à un résultat opposé à celui qu’il voulait atteindre. Puisse-t-elle le ramener dans ces voies d’équité, de sagesse, de morale publique et de respect de tous les droits, qui peuvent seules donner à son gouvernement la force nécessaire pour comprimer les passions hostiles et rétablir la confiance par la garantie de sa stabilité ! Tel a toujours été le plus cher de mes vœux, et les malheurs que j'éprouve avec toute ma famille, ne font que le rendre plus fervent dans nos cœurs. »

 

« Lorsqu'un vieillard auguste, a dit M. de Montalivet, fait entendre de telles paroles devant Dieu même, lorsqu'en regard de cette vie si clé­mente et si patriotique on évoque le souvenir des trois exils de Louis-Philippe, des assassinats dirigés contre sa personne, de sa chute au 24 fé­vrier, de sa mort sur la terre étrangère, l'âme demeure muette sous les décrets impénétrables de la Providence, et l'esprit n'a plus qu'un doute cruel sur les conditions nécessaires du gouverne­ment des sociétés humaines !... »

Pour compléter à la fois son portrait et sa dé­fense, je dirai avec Bossuet :

 

« Il était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner ; jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté non seulement vé­nérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples. Que lui peut-on reprocher, sinon la clémence ? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célèbre a dit de César, qu'il a été clément jusqu'à être obligé de s'en repentir. Cœsari proprium et peculiare sit clementia insigne quâ usque ad penitentiam omnes superavit (10). Que ce soit donc là si l'on veut l'illustre défaut de ce prince, aussi bien que de César ; mais que ceux qui veu­lent croire que tout est faible dans les malheureux comme dans les vaincus, ne pensent pas pour cela nous persua­der que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. »

 

Selon la noble expression de sir Robert Peel, c'était un grand homme de bien que le Roi Louis-­Philippe, et qui eut, comme la plupart des Princes qui gouvernèrent la France au XIXe siècle, la douleur de mourir en exil.

Mais, comme l'a dit avec tant de justesse M. Cu­villier-Fleury : « le Roi Louis-Philippe n'avait pas, comme l'Empereur Napoléon, poussé à bout la fortune de nos armes sur tous les champs de bataille de l'Europe. En lui, au contraire, c'est l'esprit constitutionnel qui a été vaincu par l'es­prit de révolte ; c'est la fidélité aux lois et aux institutions qui a été châtiée par l'exil ; noble exil après tout, car les plus amers regrets de la France y ont suivi le Roi de Juillet, et le respect douloureux du monde plane aujourd'hui sur son tombeau. »

Quarante années se sont écoulées, depuis la mort du Roi Louis-Philippe, et quand on songe aux événements étranges ou terribles dont la France a été le théâtre depuis lors, il est impos­sible, si l'on jette un regard en arrière, de ne pas considérer comme un immense malheur public la journée du 24 février 1848 et ses consé­quences.

On a vu qu'en avril 1793, à dix-neuf ans et demi, Louis-Philippe partait pour un premier exil qui devait durer près de vingt-deux ans. Mais, quand, en 1848, il dut s'éloigner pour la dernière fois, les sources de la vie étaient taries chez lui. La douleur de se sentir à tout jamais exilé, jointe au sentiment que la France se mon­trait si ingrate envers lui, a dû hâter sa fin.

Que de fois, un de ses amis, qui nous le racon­tait, ne l'a-t-il pas entendu répéter dans ses deux dernières années : « … Et mes fils ! pourquoi sont­-ils exilés ? Que peut-on leur reprocher ? N'ont­-ils pas toujours fait leur devoir, Nemours à Constantine, Joinville à Mogador, comme d'Au­male, le héros de la Smala d'Abd-el-Kader ?... »

Après le second Empire, qui accumula fautes sur fautes, fit le royaume d'Italie, n'empêcha pas l'unité allemande qui devait amener nos désastres de 1870, un gouvernement plus équitable ouvrit un moment les portes de la France à tous les princes d'Orléans. Un tel acte de justice ne pou­vait durer en République ! Les iniquités devaient se succéder vite.

Après avoir arbitrairement dépouillé les prin­ces de leurs grades dans l'armée, aussi bien le général Duc d'Aumale, le vice-amiral Prince de Joinville, que le colonel Duc de Chartres, le Robert le Fort de 1870, que le lieutenant de vais­seau Duc de Penthièvre, ou le capitaine d'artille­rie Duc d'Alençon, tous épris de leur métier, et officiers des plus distingués, on votait d'abord une loi qui empêchait d'entrer à l'École de Saint-Cyr le fils aîné du duc de Chartres, le Prince Henri, qui devait être l'intrépide explorateur de l'Asie Centrale.

Peu après, on chassait de France les aînés de la famille royale, Mgr le Comte de Paris et son fils, le Duc d'Orléans. A l'ancien officier de la République américaine, au nouveau chef de la Maison de France, on imposait un exil que cer­tains s'imaginent éternel ! On fait subir un empri­sonnement de quatre mois au Duc d'Orléans, puis on le reconduit à la frontière. Quel était le crime de celui-là ?... Il était venu demander, le jour de sa majorité, à servir son pays comme simple soldat. Il avait osé vouloir être l'égal du plus obs­cur des citoyens ?...

Les voilà donc tous frappés, tour à tour, ces fils et petits-fils du Roi Louis-Philippe, de ce Prince à qui la France doit les dix-huit meilleures et plus prospères années de ce siècle. Si l'ardent patriotisme de ces Princes est condamné à rester stérile, deux d'entre eux doivent subir les amer­tumes d'un cruel exil, quand jamais leur cœur n'a battu plus fort, pour l'ingrat pays qui les bannit !

Aussi ne pouvons-nous nous empêcher de nous écrier, avec ce Français qui, en 1850, arrivait de Londres tout ému de sa visite aux exilés :

« 0 chère France ! voilà des épées qui de­mandent à te servir, et tu les cloues dans leur fourreau !

« Voilà des intelligences honnêtes, vives, éclairées, qui voudraient t'apporter leur con­cours, et tu le rejettes !

« Voilà des cœurs qui s'élancent vers toi, et tu leur défends de venir à toi !

«  O chère France ! es-tu donc trop riche en épées, en intelligences et en dévouements ?

 

 

(1) Robe que la Reine conserva toujours, et dont, en 1866, elle fut revêtue dans son cercueil, selon son expresse volonté.

(2) Le Roi avait refait son testament sur de nouvelles bases, ne supposant pas qu'un jour viendrait, où un gouvernement régulier dépossèderait arbitrairement ses héritiers de leur fortune.

(3) « Il pressentait, dit M. Thureau-Dangin dans sa remarquable Histoire de la Monarchie de Juillet (Tome V), que l'Histoire s'ap­proprierait les paroles de sir Robert Peel. »  

(4) M. Guizot à M. de Barante, 9 juillet 1850.

(5) Le Comte de Paris, par le Marquis de Flers, Paris, chez Perrin (1887).

(6) Le Roi Louis-Philippe. Liste Civile, par le Comte de Monta­livet. Paris, Michel Lévy. 185l.  

(7) Vie de Marie-Amélie, Reine des Français, par M. Auguste Trognon, Michel Lévy, éditeur, Paris (1871).

(8) Vie de Marie-Amélie, Reine des Français, par M. Auguste Trognon. Michel Lévy, éditeur, Paris (1871).

(9) 9 juin 1876.

(10) Pline l'Ancien. Hist. natur. Liv. VII. Chap. 26.


                

 

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