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15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 00:00
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci est le dernier chapitre.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

 

 

CHAPITRE XII

Le dernier exil. - Les premiers mois en Angleterre. - Mala­die de la Reine. - Arrivée de la Duchesse d'Orléans avec ses enfants (1849). - Le Roi à Saint-Léonard. - Visite à Sir Robert Peel. - Le Hoi Louis-Philippe et la fusion. - ­Note de M. Guizot sur la fusion. - Réponse de M. le Comte de Chambord. - Note de M. de Montalivet sur la fusion. - ­Première communion, à Londres, de Mgr le Comte de Paris (juillet 1850). - Les derniers moments du Roi Louis-Phi­lippe. - Sa mort chrétienne (26 août 1850). - Ses obsèques. - Son testament. - Conclusion.

 

Les premiers jours passés au château de Cla­remont, par le Roi Louis-Philippe, la Reine, le Duc et la Duchesse de Nemours, le Duc et la Duchesse de Montpensier, la Princesse Clémen­tine, furent très tristes. La détresse de la Reine était extrême. Elle se trouvait sans linge, et n'ayant qu'une seule robe, celle avec laquelle elle avait quitté les Tuileries (1). Les augustes exilés, rassurés sur le sort de la Duchesse d'Orléans et de ses enfants réfugiés en Allemagne, n'avaient aucunes nouvelles d'Afrique, où se trouvaient le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale. Quelques journaux laissaient entendre que ces princes étaient partis pour l'Amérique. Tout à coup, dans la nuit du 20 au 21 mars, au moment de se coucher, le Roi et la Reine furent prévenus qu'on entendait une voiture dans le parc : « Ce sont mes enfants », s'écrie la Reine en proie à la plus vive émotion. C'étaient le Prince et la Prin­cesse de Joinville, le Duc et la Duchesse d'Au­male, que quelques minutes plus tard, Louis-Phi­lippe et la Reine avaient la joie de presser sur leur cœur...

Le Roi éprouva, peu de temps après, une grande et douloureuse émotion quand, au mois de mai fut votée, par l'Assemblée nationale, la loi de ban­nissement. Les sanglantes journées de juin 1848 ne laissèrent pas indifférente la colonie exilée, et un moment le Prince de Joinville et son frère, le Duc d'Aumale, songèrent à partir pour Paris, malgré tout, pour défendre le pays, attaqué par les pires ennemis de la société.

La France commençait à reconnaître tout ce qu'elle avait perdu à la chute de la monarchie. « L'histoire allait mettre en regard de la simple grandeur et de la prospérité du règne de Louis-­Philippe les hontes et les misères de la Révolu­tion de 1848. Ce fut tout à la fois le châtiment de notre époque et l'enseignement de l'avenir », a dit, avec justesse, le comte de Montalivet.

Au mois de novembre, la visite de la Reine des Belges, la fille dévouée du Roi, vint calmer, pendant quelques jours, l'amertume de l'exil.

Tout à coup, tous les Princes tombèrent malades, empoisonnés par les eaux du château qui servaient à la cuisine. Des tuyaux de plomb en étaient la cause. Le Roi, avec sa famille, quitta Claremont pendant le temps des réparations, et s'installa à Richmond, au grand hôtel du Star and Garter qu'il avait habité en 1815 et 1816. Les Princes furent promptement rétablis, mais il n'en fut pas de même de la santé de la Reine, dont la santé donna les plus vives inquiétudes.

Leurs Majestés furent, à cette époque, fort attristées par la mort de fidèles amis qui les avaient suivis en exil. M. Vatout, récemment nommé membre de l'Académie française, avait succombé le 3 novembre, et n'avait pu même aller prendre possession de son fauteuil, Mme la Comtesse de Montjoie, ancienne dame d'honneur de Madame Adélaïde, mourut le 3 décembre, et quelques mois après, la Marquise de Dolomieu sa sœur, dame d'honneur de la Reine, la suivait au tombeau.

Au commencement de mars 1849 seulement, la Reine fut en convalescence, et pour hâter son complet rétablissement, le Roi alla s’établir à Saint-Léonard, près d'Hastings, sur la côte de Sussex. Ce n'est qu'au mois de mai que l’air de la mer lui rendit toutes ses forces. Pendant ce séjour, Louis-Philippe reçut beaucoup de visites de Français, heureux de saluer le vieux Roi exilé, qui avait laissé en France tant de regrets. Ces marques nombreuses de dévouement, qui ve­naient le chercher sur la terre d'exil, ne trou­vèrent pas Louis-Philippe insensible. Mais il ne se faisait aucune illusion et ne croyait pas à une réaction qui, aux yeux de beaucoup cependant  paraissait certaine.

L'événement prouva plus tard que si cette réaction se porta sur un Bonaparte, dont le nom n'était pas encore usé, rien n'aurait empêché qu'elle pût se faire au profit de la Maison de Bourbon réconciliée...

Un jour, dans une conversation avec un de ses meilleurs serviteurs, qui lui exposait les raisons qui lui faisaient croire que la République dispa­raîtrait bientôt : «  Tout est possible en France, s'écria le Roi ; mais rien n'y durera, parce que le respect n'y existe plus ».

Au mois de juin 1849, l'arrivée, à Saint-Léo­nard, de Mme la Duchesse d'Orléans, qui venait de Weimar avec ses deux fils, causa au Roi une grande joie. La Princesse fut si touchée des efforts affectueux que toute la famille royale fit pour la retenir, qu'elle promit de revenir au printemps de 1850, pour la première communion du Comte de Paris.

L'automne se passa à Claremont, dans une triste tranquillité. La Reine, entièrement rétablie, consacrait tous ses soins au Roi, dont rien n’annonçait alors la fin. Plus que jamais ont distinguait toutes les exquises qualités de Louis-Philippe ; son esprit était aussi clair, sa mémoire aussi fidèle, sa conversation aussi pleine de charme. Rentré en possession de ses biens, il avait pourvu à l'extinction progressive de toutes ses dettes, dettes contractées pour le bien de la France  (2).

Le 18 décembre 1849 il se départit de ses habitudes de retraite, et fit, au château de Drayton-Manor, une longue visite à sir Robert Peel, qui avait présidé le Cabinet Anglais en 1844. Le célèbre homme d'État, qui appelait la Révolution de Février « un effet sans cause », le reçut en Roi, Louis-Philippe fut sensible aux paroles suivantes que Robert Peel lui adressa, à la fin du lunch suivant l'usage anglais.

 

« Sire, nous vous avons dû la paix du monde ; chef d'une nation justement susceptible, justement fière de sa gloire militaire, vous avez su atteindre ce grand but de la paix, sans jamais sacrifier aucun intérêt de la France, sans jamais laisser porter aucune atteinte à son honneur, dont vous étiez plus jaloux que personne. C'est surtout aux hommes qui ont siégé dans les Conseils de la Cou­ronne britannique qu'il appartient de le proclamer. »

 

Au milieu des tristesses de l'exil et en face de la mort prochaine, le vieux Roi déchu a dû trou­ver dans cet hommage d'un étranger, la consola­tion à tant d'injustices françaises (3). A son retour à Claremont, il exprima le plaisir qu'il avait éprouvé dans cette excursion.

C'est à cette époque que Louis-Philippe sentit combien une réconciliation sincère entre tous les membres de la Maison de Bourbon était né­cessaire et utile à la France. Ce fut un des der­niers vœux manifestés par le Roi. Non seulement M. Guizot était entré sans réserve dans ces idées. Sa correspondance nous révèle combien le Roi Louis-Philippe les favorisait de tout son pouvoir et les appuyait de toute son autorité. Le Roi disait à M. Guizot en juillet 1850 :

«  Mon petit-fils ne peut régner au même titre et aux mêmes conditions que moi, qui ai fini par échouer. Il ne peut être que roi légitime, soit par la mort, soit par l'abdication de M. le Duc de Bordeaux, soit à son tour. Mais je n'ai, quant à présent, ni résolution à prendre, ni démarche à faire. Je n'ai qu'à attendre. C'est un grand mal que la désunion de la Maison de Bourbon : je n'y ajouterai pas le scandale de la désunion dans la Maison d'Orléans. Il faut que tous les miens soient de mon avis. Tous mes fils en sont, mais ce n'est pas tout. Il me faut du temps (4). »

Toutefois, ni le Roi Louis-Philippe, ni M. Gui­zot n'estimèrent que ce fut assez dans les circons­tances où se trouvait alors le pays, de former des vœux platoniques en faveur de la fusion. Avec les conseils, avec les encouragements du premier, le second se mit en mesure de faire parvenir à M. le Comte de Chambord l'expression des idées qui avaient cours au château de Claremont, et de préparer le terrain à une solution qui, dès cette époque, était chère aux meilleurs esprits. M. Gui­zot rédigea donc, à la fin de l'année 1850, une note développée, sur les conditions dans lesquelles pouvait s'accomplir la réconciliation des partis monarchiques.

Cette note est une des pages les plus judi­cieuses et les plus élevées qui soient sorties de la plume de l'illustre homme d'État qui, après avoir défini ce qui doit appartenir en propre aux légitimistes et aux orléanistes dans l'exercice du gouvernement royal, posait ainsi ses conclusions :

 

En 1830, une grande, une très grande partie de la nation s'est sentie attaquée, et mise en péril dans ses droits, dans ses intérêts, dans son honneur. Elle a fait ou approuvé, contre le droit monarchique, une révolution. A tort ou à raison, elle n'a pas cru pouvoir défendre par un autre moyen ses intérêts, son honneur, ses droits. La révolution faite, le pays et son gouvernement nouveau se sont efforcés de l'arrêter, de la régler, d'en faire sortir, sous un prince de la Maison de Bourbon, une monarchie constitutionnelle. Cette monarchie a duré dix-huit ans, elle a maintenu l'ordre légal en France et la paix en Europe. Pendant dix-huit ans, la France a vécu libre et prospère. Nul autre gouvernement, depuis soixante ans, n'a duré davantage et n'a plus sincèrement et plus libé­ralement gouverné. En 1848, ce gouvernement a été sou­dainement renversé. Sans regarder plus avant, sans rechercher les causes secondaires de sa chute, on est en droit de dire qu'il ne possédait pas toutes les conditions vitales de la durée.

« Ce sont là deux grands faits qui planent maintenant sur tous les partis, et qui, pour M. le Comte de Chambord et pour la France, doivent présider à toute politique. On peut dire que Dieu a parlé. La France doit recon­naître que le respect du droit monarchique et l'union des partis monarchiques sont indispensables à la monarchie. M. le Comte de Chambord doit reconnaître que la monar­chie de 1830 a été nationale et légale, et qu'elle a sauvé la France de l'anarchie. Par cette attitude simultanée, ni M. le Comte de Chambord, ni la France n'abandonnent leur dignité et leur droit. Ils se rapprochent sans se renier. Ils rendent ensemble hommage à la vérité et à la nécessité. »

 

«  La note de M. Guizot fut mise sous les yeux de M. le Comte de Chambord par l'intermédiaire de M. le duc de Noailles. Le Prince l'examina avec l'attention qui lui était due, et y répondit, comme on sait, par une des plus magnifiques lettres de sa correspondance. M. le Comte de Chambord, après avoir rendu hommage à la supériorité d'esprit, à la haute capacité et à la longue expérience de M. Guizot ajoutait : « Je les ai lues (ces pages) avec d'autant plus d'intérêt et de satisfaction que, sur la plupart des points et à quelques différences près, je partage les pensées et les vues qu'elles expriment.

« C'est donc le programme tracé par M. Guizot d'une main si magistrale en 1850, qui s’est exécuté en 1873. Libre au parti républicain de traiter de haut l'évolution si patriotique et si nationale que les conservateurs accomplirent alors, mais ce que nous contestons à nos adversaires, c'est de pouvoir prétendre qu'elle a eu lieu en opposition avec les traditions respectives des deux partis monarchiques. En réalité, leur union, désormais indissoluble, est au même degré l'œuvre du Roi Louis-Philippe et de M. le Comte de Chambord (5). »

Nous trouvons un autre témoignage non moins important des sentiments du Roi sur la fusion. Son serviteur et ami dévoué, le comte de Montalivet s’exprime ainsi… :

 

« Louis-Philippe n'a pas su seulement se défendre de tout sentiment amer pour le pays qui l'avait repoussé, dans un jour d'égarement, il n'a pas même désespéré de la France, comme en désespérait Napoléon à Sainte-­Hélène. Son orgueilleuse douleur ne l'a pas condamnée pour toujours à la République ou aux Cosaques. Il croyait encore à la Monarchie et à la grandeur qui l'accompagne. Mais sa haute raison fondait, avant tout, cette espérance sur la réunion des partis monarchiques, qu'il regardait comme la condition nécessaire du salut de la société. Louis-Philippe voulait et conseillait cette grande conci­liation. Il ne la croyait pas moins compatible avec l'hon­neur de sa mémoire et de sa Maison, qu'avec l'avenir de la liberté en France.

« Ce vœu suprême d'une intelligence qui s'est éteinte dans toute sa force, d'un patriotisme, éclairé tour à tour par la puissance et par l'exil, sera-t-il un jour entendu par la France ? Qui pourrait le dire, hélas !... J'ai le droit, du moins, de m'en emparer, pour résumer par un seul trait les sentiments qui éclatent dans les récits de ce livre (6) : la dernière pensée politique de Louis-Philippe a été une pensée d'union et de désintéressement personnel, une victoire remportée sur les préjugés et sur les pas­sions vulgaires. »

 

L'hiver de 1850 fut très rude, et la santé du Roi s'en ressentit. Sans qu'aucun symptôme alarmant ne se fût encore manifesté, au mois de mai, on fut frappé du changement général dans son aspect. On pensa que l'air de Saint-Léonard, dont la Reine s'était si bien trouvée, lui serait aussi favorable, et l'on s'y rendit. Le Roi sembla, tout d'abord, s'en trouver bie, et les beaux jours amenèrent encore en Angleterre beaucoup de Français. Il tenait à les recevoir tous, et prenait un grand plaisir à leurs conservations. Mais, si tous constataient la plénitude de son intelligence, la netteté et la clairvoyance de son esprit, ils sortaient émus et frappés de son visible dépérissement. La Reine des Belges vint à cette époque embrasser son père qu’elle ne devaient plus revoir. Souffrante, dès son arrivée, elle repartit pour la Belgique dès qu'elle put supporter le voyage.

Mme la Duchesse d'Orléans arriva bientôt avec ses enfants, et la prermière communion de M. le Comte de Paris fut fixée au 20 juillet. L'abbé Guelle, qui avait commencé l’éducation chrétienne du jeune Prince au Palais des Tuileries, et qui, depuis deux années, avait fait de fréquents voyages à Eisenach, pour achever sa mission spirituelle, s'était rendu en Angleterre au commencement de juillet.

«  Mme la Duchesse d'Orléans avait très sagement compris combien il importait que le grand acte qui initie l'enfance à la vie catholique s'accomplît, pour son fils aîné, avec la publicité la plus solennelle. C'était en outre un rendez-vous tout naturel à donner aux amis, encore assez nombreux alors, qui ne cherchaient que l'occa­sion d'apporter le témoignage de leur dévouement à la famille royale, dans son exil. Il avait donc été réglé que la cérémonie aurait lieu à Londres dans la chapelle française, avec toute la pompe religieuse que comportaient le lieu et les circons­tances. On ne s'était pas trompé en comptant sur un nombre considérable de Français pour assister à cette auguste et touchante solennité. Il faut bien le dire, le vieux Roi, plus que son petit-­fils, contribua à l'émotion universelle. Il avait voulu, ce jour-là, rajeunir, et en quelque sorte égayer son costume ordinaire, et il n'y eut per­sonne qui ne fut tristement frappé du contraste de ce vêtement avec le visage et la démarche de celui qui le portait. Ce fut Mgr Wiseman, alors vicaire apostolique à Londres, qui célébra la messe. Les paroles qu'il prononça avant et après la communion du jeune Prince, furent d'une par­faite convenance, en même temps que d'une pieuse simplicité. Le Roi en fut très touché, et conserva de toute la cérémonie une grave et pro­fonde impression. Il retourna le lendemain à Claremont (7). » .

Mais les sources de la vie étaient taries chez lui, et le dépérissement général augmentait chaque jour. La Reine le voyait, et avec cette énergie et cette force d'âme, si remarquables chez elle, avait demandé au docteur Gueneau de Mussy de lui dire la vérité sans aucun ménage­ment. Le 25 août, le docteur lui déclara que tout espoir de prolonger la vie du Roi était perdu.

Louis-Philippe avait toujours déclaré son in­tention de mourir chrétiennement. La première communion du Comte de Paris, en le pénétrant d'une émotion toute religieuse, l'avait affermi dans son dessein. Il se sentait mortellement atteint, mais croyait avoir encore quelques mois ou quelques semaines à vivre. A onze heures du matin, la Reine s'agenouilla devant son lit et le conjura de faire appeler l'abbé Guelle. Louis-­Philippe sourit tristement, et interrogea le mé­decin en disant que la Reine exagérait sa situa­tion. Avec beaucoup de ménagements, M. de Mussy confirma le langage de la Reine.

« Allons, il faut prendre congé de tous, dit-il, avec calme et douceur. » Et il ne songea plus qu'à se préparer à mourir en chrétien, en Roi digne de sa race... Toutefois, il se rappela qu'une page de ses Mémoires sur le maréchal Macdonald était restée inachevée. Il fit mander le général Dumas, et avec une grande netteté d'esprit, acheva le passage commencé. Ensuite il resta seul un quart d'heure avec la Reine pour lui dicter quelques dispositions testamen­taires relatives à des amis. Puis il signa le papier, d'une main déjà glacée par les approches de la mort. Il en avait fini avec les choses de la terre, et ne pensa plus qu'à Dieu.

A trois heures après-midi, l'abbé Guelle, son aumônier, entra dans sa chambre. Il était assis dans un grand fauteuil, la Reine se retira aussi­tôt. « Mon cher abbé, dit le Roi, je veux ac­complir ce que j'ai promis. Je possède toutes mes facultés ; et mes devoirs de conscience, je les remplis avec une parfaite connaissance de ce que je fais... Puis il fit le signe de la croix, prononça la déclaration la plus catholique, et se confessa. Lorsque le prêtre lui eut donné l'ab­solution, il dit lentement, avec foi et componc­tion, un acte de contrition dont les termes étaient bien tirés de son cœur : « Vous m'avez fait du bien, dit-il à l'abbé Guelle, mais hâtez-vous de me donner la communion, car je sens que je  m’en vais...

La Reine, les Princes et les Princesses entrèrent, et le Roi les bénit tour à tour. Puis il communia, et demanda à recevoir l'extrême-onction. Pendant que ce sacrement lui était administré, Louis-­Philippe en suivait avec recueillement les rites et les prières. « Vous oubliez les mains, dit-il à l'abbé. Celui-ci lui assura que ce n'était point nécessaire. - Puis se tournant vers la Reine : « Tu es bien contente, n'est-ce pas ? eh bien ! moi, je le suis aussi. »   Oui, répondit la Reine, et j'es­père bientôt te rejoindre !...

On amena ses douze petits-enfants qu'il em­brassa, et bénit. Tous les assistants pleuraient. Qui n'aurait été ému en assistant aux derniers moments de ce Prince que le sort avait si cruel­lement atteint, et dont la résignation chrétienne et le calme étaient si grands.

Vers le soir, la fièvre lui donna une force fac­tice, ce qui lui permit de répéter avec le prêtre la prière du soir. Puis un peu plus tard, se tour­nant vers la Reine : « Ma chère amie, je suis content ; j'éprouve un vrai bien-être de m'être rapproché de Dieu ; je ressens un vrai soulage­ment, et je te promets que si Dieu prolongeait ma vie, j'approcherais régulièrement des sacre­ments ». La nuit s'acheva sans crise, et le matin la fièvre étant tombée, la faiblesse augmenta. Le 26 août à sept heures, l'abbé Guelle le trouva dans son lit avec la même sérénité sur le visage, et dans l'esprit la même liberté. Il se sentait mieux, et ne souffrant pas, il crut avoir encore de longues heures à vivre. Il demanda à l'abbé s'il le croyait bien préparé à mourir. Il voulut prier encore cependant, mais les lèvres purent à peine articuler quelques sons. L'agonie com­mençait : « Mon, bon docteur, dit-il à M. de Mussy, faites revenir l'abbé... Ce furent ses dernières paroles.

Il était près de huit heures. La Reine, Mme la Duchesse d'Orléans avec ses enfants, le Duc de Nemours, le Prince de Joinville, le Duc d'Aumale, les Princesses, la Princesse Clémentine et son mari, et avec eux les fidèles compagnons de leur exil étaient à genoux. L'abbé Guelle renouvela la sainte formule de l'absolution, et commença les dernières prières, en engageant le Prince à s'y associer. Celui-ci, par un signe, répondit affir­mativement. Quelques minutes après, sans lutte, sans souffrances, le Roi rendait le dernier soupir. Il était huit heures un quart... « La Reine lui ferma les yeux, et, montrant à ses fils les restes inanimés de leur père : « Sa dernière pensée, leur dit-elle, le dernier vœu qu'il m'a exprimé, est que vous restiez toujours unis. Promettez-­moi que vous le serez. » Les Princes le pro­mirent, et scellèrent leur engagement en em­brassant leur mère. Puis tous se rendirent en­semble dans la chapelle, où la messe· fut dite pour le repos de l'âme du défunt (8). »

Le propriétaire de la modeste chapelle de Weybridge prêta le caveau de sa famille situé dans un petit jardin. Le 2 septembre eurent lieu les obsèques, au milieu d'un grand concours d'amis venus de tous les points de la France pour rendre leurs devoirs au dernier Roi des Français. Ses restes mortels, et plus tard ceux de la Reine et des autres jeunes Princes et Prin­cesses morts en exil, reposèrent dans ce caveau jusqu'au jour (9) où ils furent transportés en France dans l'église de Dreux. La Reine Marie-Amélie, comme aux funérailles de son fils aîné le Duc d'Orléans, avait assisté à la cérémonie funèbre jusqu'au bout. On l'a dit avec raison : « C'était, dans la plus sublime acception du mot, la femme forte de l'Écriture, forte uniquement parce que la force venait d'en haut à sa faiblesse. »

Lorsque le testament du Roi fut ouvert, on y trouva cette page admirable, datée de mai 1849...

 

« Fasse le Ciel que la lumière de la vérité vienne enfin éclairer mon pays sur ses véritables intérêts, dissiper les illusions qui ont tant de fois trompé son attente, en le conduisant à un résultat opposé à celui qu’il voulait atteindre. Puisse-t-elle le ramener dans ces voies d’équité, de sagesse, de morale publique et de respect de tous les droits, qui peuvent seules donner à son gouvernement la force nécessaire pour comprimer les passions hostiles et rétablir la confiance par la garantie de sa stabilité ! Tel a toujours été le plus cher de mes vœux, et les malheurs que j'éprouve avec toute ma famille, ne font que le rendre plus fervent dans nos cœurs. »

 

« Lorsqu'un vieillard auguste, a dit M. de Montalivet, fait entendre de telles paroles devant Dieu même, lorsqu'en regard de cette vie si clé­mente et si patriotique on évoque le souvenir des trois exils de Louis-Philippe, des assassinats dirigés contre sa personne, de sa chute au 24 fé­vrier, de sa mort sur la terre étrangère, l'âme demeure muette sous les décrets impénétrables de la Providence, et l'esprit n'a plus qu'un doute cruel sur les conditions nécessaires du gouverne­ment des sociétés humaines !... »

Pour compléter à la fois son portrait et sa dé­fense, je dirai avec Bossuet :

 

« Il était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner ; jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté non seulement vé­nérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples. Que lui peut-on reprocher, sinon la clémence ? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célèbre a dit de César, qu'il a été clément jusqu'à être obligé de s'en repentir. Cœsari proprium et peculiare sit clementia insigne quâ usque ad penitentiam omnes superavit (10). Que ce soit donc là si l'on veut l'illustre défaut de ce prince, aussi bien que de César ; mais que ceux qui veu­lent croire que tout est faible dans les malheureux comme dans les vaincus, ne pensent pas pour cela nous persua­der que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. »

 

Selon la noble expression de sir Robert Peel, c'était un grand homme de bien que le Roi Louis-­Philippe, et qui eut, comme la plupart des Princes qui gouvernèrent la France au XIXe siècle, la douleur de mourir en exil.

Mais, comme l'a dit avec tant de justesse M. Cu­villier-Fleury : « le Roi Louis-Philippe n'avait pas, comme l'Empereur Napoléon, poussé à bout la fortune de nos armes sur tous les champs de bataille de l'Europe. En lui, au contraire, c'est l'esprit constitutionnel qui a été vaincu par l'es­prit de révolte ; c'est la fidélité aux lois et aux institutions qui a été châtiée par l'exil ; noble exil après tout, car les plus amers regrets de la France y ont suivi le Roi de Juillet, et le respect douloureux du monde plane aujourd'hui sur son tombeau. »

Quarante années se sont écoulées, depuis la mort du Roi Louis-Philippe, et quand on songe aux événements étranges ou terribles dont la France a été le théâtre depuis lors, il est impos­sible, si l'on jette un regard en arrière, de ne pas considérer comme un immense malheur public la journée du 24 février 1848 et ses consé­quences.

On a vu qu'en avril 1793, à dix-neuf ans et demi, Louis-Philippe partait pour un premier exil qui devait durer près de vingt-deux ans. Mais, quand, en 1848, il dut s'éloigner pour la dernière fois, les sources de la vie étaient taries chez lui. La douleur de se sentir à tout jamais exilé, jointe au sentiment que la France se mon­trait si ingrate envers lui, a dû hâter sa fin.

Que de fois, un de ses amis, qui nous le racon­tait, ne l'a-t-il pas entendu répéter dans ses deux dernières années : « … Et mes fils ! pourquoi sont­-ils exilés ? Que peut-on leur reprocher ? N'ont­-ils pas toujours fait leur devoir, Nemours à Constantine, Joinville à Mogador, comme d'Au­male, le héros de la Smala d'Abd-el-Kader ?... »

Après le second Empire, qui accumula fautes sur fautes, fit le royaume d'Italie, n'empêcha pas l'unité allemande qui devait amener nos désastres de 1870, un gouvernement plus équitable ouvrit un moment les portes de la France à tous les princes d'Orléans. Un tel acte de justice ne pou­vait durer en République ! Les iniquités devaient se succéder vite.

Après avoir arbitrairement dépouillé les prin­ces de leurs grades dans l'armée, aussi bien le général Duc d'Aumale, le vice-amiral Prince de Joinville, que le colonel Duc de Chartres, le Robert le Fort de 1870, que le lieutenant de vais­seau Duc de Penthièvre, ou le capitaine d'artille­rie Duc d'Alençon, tous épris de leur métier, et officiers des plus distingués, on votait d'abord une loi qui empêchait d'entrer à l'École de Saint-Cyr le fils aîné du duc de Chartres, le Prince Henri, qui devait être l'intrépide explorateur de l'Asie Centrale.

Peu après, on chassait de France les aînés de la famille royale, Mgr le Comte de Paris et son fils, le Duc d'Orléans. A l'ancien officier de la République américaine, au nouveau chef de la Maison de France, on imposait un exil que cer­tains s'imaginent éternel ! On fait subir un empri­sonnement de quatre mois au Duc d'Orléans, puis on le reconduit à la frontière. Quel était le crime de celui-là ?... Il était venu demander, le jour de sa majorité, à servir son pays comme simple soldat. Il avait osé vouloir être l'égal du plus obs­cur des citoyens ?...

Les voilà donc tous frappés, tour à tour, ces fils et petits-fils du Roi Louis-Philippe, de ce Prince à qui la France doit les dix-huit meilleures et plus prospères années de ce siècle. Si l'ardent patriotisme de ces Princes est condamné à rester stérile, deux d'entre eux doivent subir les amer­tumes d'un cruel exil, quand jamais leur cœur n'a battu plus fort, pour l'ingrat pays qui les bannit !

Aussi ne pouvons-nous nous empêcher de nous écrier, avec ce Français qui, en 1850, arrivait de Londres tout ému de sa visite aux exilés :

« 0 chère France ! voilà des épées qui de­mandent à te servir, et tu les cloues dans leur fourreau !

« Voilà des intelligences honnêtes, vives, éclairées, qui voudraient t'apporter leur con­cours, et tu le rejettes !

« Voilà des cœurs qui s'élancent vers toi, et tu leur défends de venir à toi !

«  O chère France ! es-tu donc trop riche en épées, en intelligences et en dévouements ?

 

 

(1) Robe que la Reine conserva toujours, et dont, en 1866, elle fut revêtue dans son cercueil, selon son expresse volonté.

(2) Le Roi avait refait son testament sur de nouvelles bases, ne supposant pas qu'un jour viendrait, où un gouvernement régulier dépossèderait arbitrairement ses héritiers de leur fortune.

(3) « Il pressentait, dit M. Thureau-Dangin dans sa remarquable Histoire de la Monarchie de Juillet (Tome V), que l'Histoire s'ap­proprierait les paroles de sir Robert Peel. »  

(4) M. Guizot à M. de Barante, 9 juillet 1850.

(5) Le Comte de Paris, par le Marquis de Flers, Paris, chez Perrin (1887).

(6) Le Roi Louis-Philippe. Liste Civile, par le Comte de Monta­livet. Paris, Michel Lévy. 185l.  

(7) Vie de Marie-Amélie, Reine des Français, par M. Auguste Trognon, Michel Lévy, éditeur, Paris (1871).

(8) Vie de Marie-Amélie, Reine des Français, par M. Auguste Trognon. Michel Lévy, éditeur, Paris (1871).

(9) 9 juin 1876.

(10) Pline l'Ancien. Hist. natur. Liv. VII. Chap. 26.


                

 

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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 11:28

Couverture 

Catalogue

des livres

de

Botanique

composant la bibliothèque

de feu M. G. VIGINEIX

bibliothéquaire de la Société botanique de France

dont la vente aux enchères publiques

aura lieu le 28 janvier 1878 et jours suivants

à sept heures et demie précises du soir,

rue des Bons-Enfants, 28 (maison Sylvestre)

salle n°2

par le ministère de Me MULON, commissaire-priseur,

55, rue de Rivoli, à Paris,

assisté de M. Aug. AUBRY, libraire expert,

chez lesquels se distribue le Catalogue

Paris

Auguste AUBRY, libraire expert

18, rue Séguier, 18

1877

 

Première page

CONDITIONS DE LA VENTE

Elle sera faite au comptant.

Les acquéreurs paieront cinq pour cent en sus des enchères.

Les livres qui devront être vendus le soir seront exposés chaque jour de vente, de 2 à 4 heures. Ils devront être collationnés sur place dans les vingt-quatre heures ; passé ce délai, ou une fois sortis de la salle, ils ne seront repris pour aucune cause.

Les personnes qui ne peuvent assister à la vente sont priées d'adres­ser leurs ordres à M. Aubry (rue Séguier, 18), l'expert chargé de la vente.

 

Deuxième page

ORDRE DES VACATIONS

1. Lundi 28 janvier 1878 : 1 à 187

2. Mardi 29 janvier : 188 à 371

3. Mercredi 30 janvier : 372 à la fin

 

Troisième page

TABLE DES DIVISIONS DU CATALOGUE

Ouvrages non botaniques : 1 à 60

Botanique :

1° Ouvrages généraux : 61 à 99

2° Taxinomie. Ouvrages descriptifs : 100à 146

3° Flores françaises : 147 à 203

4° Flores européennes : 204 à240

5° Flores exotiques : 241 à 254

6° Cryptogamie : 255 à 275

7° Monographies : 276 à 291

8° Mélanges. Plaquettes et brochures : 292 à 414

9° Agriculture et horticulture : 415 à 514

10° Journaux et recueils d'agriculture et d'horticulture : 515 à 554

 

Pages 1 à 49

CATALOGUE

DE LA BIBLIOTHEQUE

De feu M. VIGINEIX

LITTERATURE, HISTOIRE, GEOGRAPHIE,

SCIENCES (autre que la Botanique).

1. Liber precum. Manuscrit du XVe siècle, ayant appartenu à Jean Cirot, seigneur de Saint-Symphorien (1491). Petit in-8° maroq. rouge, tr. dor.

2. Dictionnaire de l'Académie française. Paris, 1835. Supplé­ment, 1836. Ens.3 vol. in-4° v. et br.

3. Bouillet. Dictionnaire universel des Sciences, des Lettres et des Arts. Paris, 1855. Gr. in-8° d.-rel. chag. rouge, tête dorée.

4. Du Moulin. La philosophie françoise de P. du Moulin. Paris, 1637. Petit in-16 maroq. Lavallière, tr. dor. Titre gravé remonté.

5. Pascal. Les Provinciales. Cologne, P. de la Vallée, 1657 (Elsevier). Petit in-12 maroq. rouge, fil., tr. dor. (Bozérian). Bel exemplaire de la 1re édition sous cette date.

6. Comte Jaubert. Glossaire du Centre de la France. Paris, 1856. 2 vol. in-8° br. Gr.

7. Poésies. 4 vol. in-8° et in-12, d.-rel. mar., tête dorée. - Œuvres de Virgile, trad. par de Pongerville. 1843. - La Henriade, de Voltaire. 1829. - Oberon, de Wieland. 1800. - Le Paradis perdu, de Milton, trad. par de Pongerville. 1838.

8. Guizot. Histoire de la Révolution d'Angleterre. Paris, 1841.2 vol. in-8°, d.-rel. mar. vert.

9. Th. Lavallée. Histoire des Français. Paris, 1841. 2 vol. in-12, d.-­rel. mar. bl.

10. Galerie historique. Collection de 200portraits des person­nages les plus célèbres de l'histoire moderne, avec notices. Paris, 1842.2 vol. pet. in-4° d.-rel. mar. vert.

11. Malte-Brun. Géographie complète et universelle. Paris, s. d. 8 vol. gr. in-8° d.-rel. perc. n. rog., Fig. et cartes.

12. Atlas historique, scientifique, industriel et commercial. Paris, Migeon. Gr. in-4° perc. Cartes color.

13. Un fort lot de Cartes géographiques collées sur toiles, la plu­part de la Carte de France de l'Etat-Major.

14. Dictionnaire topographique de la France, comprenant les noms de lieus, anciens et modernes, publié par ordre du ministre de l'Instruction publique. Paris, Impr. imp., 1861-72. 14 vol. in-4° br.

15. Dictionnaire universel du Commerce et de la Navigation. Paris, 1863. 2 vol. gr. in-8° d.-rel. mar. br., tête dorée.

16. Bazin. Histoire de France sous Louis XIII et le Cardinal Mazarin. Paris, 1846. 4 vol. in-12, d.-rel. chag. vert.

17. Béclard. Traité élémentaire de physiologie humaine. Paris, 1859. In-8° d.-rel. bas. v. Fig.

18. A. Comte. Physiologie pour les collèges et les gens du monde. Paris, 1834. ln-4° d.-rel. Pl. col.

19. Galtier. Traité de toxicologie médico-légale. Paris, 1845-55. 2 vol. in-8° br.

20. Littré et Robin. Dictionnaire de médecine. Paris, 1865. Gr. in­8° d.-rel. ch. v.

21. Tardieu. Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité. Paris, 1852. 3 vol. in-8° br.

22. Cazeaux. Traité de l'art des accouchements. Paris, 1870. Gr. in­8° br. Fig.

23. Régnault. Cours de chimie. Pet. in-4° d.-rel. perc. Autographié.

24. Bory de Saint-Vincent, etc. Annales générales des sciences physiques. Bruxelles, 1819. 6 vol. in-8° d.-rel. planches.

25. Follin et Duplay. Traité élémentaire de pathologie externe. Paris, 1865-71. 3 vol. in-8° br. Fig.

26. Histoire naturelle, médecine. 13 plaquettes in-8° d.-rel. perc. Fig. - Matière médicale, par Coste. - Essai sur la douleur, par Sarazin. 1805 - De la vipère, par Soubeiran. 1855 - Ornithologie, par Viellot. 1816. - Accroissement des incisives chez les rongeurs. 1850 - Mémoire sur les sept espèces d'hommes, par Peyroux de la Coudrenière. 1814  -  ­Et autres, par Tissot, Payen, Michaelis.

27. Histoire naturelle, médecine. 23 broch. in-4°, par A. Dumé­ril, Bourgery, Brongniart, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Raspail, Puel (Catalepsie), etc.

28. Microscopes. 18 broch. in-8°, par Ch. Chevalier, Hannover, Pritchard, Descloizeaux, Robin, schacht, etc.

29. Berzelius. Traité de chimie. Paris, 1829-31. 8 vol. - Annuaire des sciences chimiques. 1837- Ens. 9 vol. in-8° br.

30. Passy. Description géologique du département de l'Eure. Evreux, 1874. In-4° br.

31. Dumas. Statique chimique des êtres organisés. - Robert. Géo­logie de l'Islande et du Groënland. - De Saussure. Agenda du géo­logue dans les Alpes. - Pomel. Description de la carte géologique du massif de Milianah, etc. - 12 brochures.

32. Cours de Zoologie, par Milne-Edwards. 1847. - Cours de minéralogie, par Beudant. 1851. - Cours de météorologie, par Kaemtz. 1843. Ens. 3 vol. in-12 d.-rel. ch. Fig.

33. De Castelnau. Animaux nouveaux ou rares recueillis pendant l'expédition dans les parties centrales de l'Amérique du Sud, de Rio­-de-Janeiro à Lima, et de Lima au Para, exécutée par ordre du gouver­nement français, de 1843 à 1847. Paris, 1857. 3 vol. in-4° d.-rel. parch. Nombr. planches coloriées.

34. George. Monographie du genre Daman. 6 pl. n. - Cosson. Accli­matation de la Carpe et de la Tanche en Algérie. - Viaud Grand-­Marais. Etude sur les serpents de la Vendée. – Pihorel. Serpents à son­nette. - Derheims. Histoire des sangsues. - Sodoffsky. Behandlung der Lepidopteren. - Murray. Tentamen testaceologiae, etc. - 9 brochures.

35. Ch. Bonaparte et H. Schlegel. Monographie des Loxiens. Leiden et Düsseldorf, 1850. In-4° cart. 54 planches coloriées.

36. Bleeker. Enumeratio specierum Piscium hucusque in Archi­pelago indico observatarum. Batavioe, 1859. In-4° d.-rel. chag. vert.

37. Olivier. Entomologie ou histoire naturelle des Insectes. Paris, 1789. 3 vol. gr. in-4 ° cart. n. rog. Pl. col.

38. Chaubard. Fragments de botanique critique. 1830. - Théorie de la vision. 1833. - Notice géologique sur les terrains du Lot-et-­Garonne. 1834. - Eléments de géologie. 1838. - Essai de philosophie positive. 1841. - Ens. 2 vol. eq br. in-8°.

39. Constancio. Dictionnaire français-portugais et portugais-fran­çais. 1842. 2 part. en 1 vol. - Achaintre. Synonymes latins. Paris, 1821. 1 vol. in-8°, veau pl. - Thomas. Manuel des Halles et Marchés en gros. Paris. 1872. 1 vol. rel.

40. Ollendorff. Méthode pour apprendre l'Allemand, l'Espa­gnol, l'Italien. Paris, 1873 et 1874. Ens. 4 vol. in-8° br.

41. Delille. Les Géorgiques de Virgile. Paris, 1784. 1 vol. in-8°, rel. veau pl. - L'Imagination. Paris, 1819. 2 voL in-8°, rel.

42. Voltaire. Œuvres. Paris, 1856 (J. Bry). 9 vol. in-8° br. - J.-J. Rousseau. Œuvres. Paris, 1856 (J. Bry).10 vol. in-8° br.

43. Ténot. Le coupd'Etat en province, en 1851. Paris, 1868. 1 vol. rel. - Dien. De l'usage des globes et sphères. Paris, 1 vol. br., 3 pl. ­Signaux de la marine française, etc. - Ens. 4 vol.

44. Theil. Dictionnaire de biographie, mythologie, géographie anciennes. Paris, 1865. 1 vol. in-8°, f. n. dans le texte. - Fouquet. Rui­nes et monuments celtiques et romains du Morbihan. Vannes, 1853. 1 vol. rel. Carte.

45. Périgot. La France (Géographie, etc.). Paris, 1 vol. rel., 2 pl. ­- Landrin. Les Plages de la France, 3e éd. Paris, 1875. 1 vol. rel. Fig. n. dans le texte.

46. Baron. La Belgique monumentale, historique et pittoresque. 1844. 2 vol. in-4° rel. Fig. et pl. n. dans le texte. -  Catalogue du Musée des Thermes. 1860. 1 vol. br. - Idem, 1871. 1 vol. rel.

47. Chansenque. Les Pyrénées. Agen, 1854. 2 parties en 1 vol. in­8°, cart. - Joanne. Les Pyrénées. 1868. - Les Pyrénées, 1874. 2 vol. – E. Wallon. Ascension au Cabaliros (Pyrénées). 1 cart. col.

48. Dictionnaire des Postes de la République française (avec sup­plément). Paris, 1876, 1 vol. in-8° cart.

49. Annales de la Société académique de Nantes. 1er semestre, 1875. 1 vol. in-8° br.

50. Aragot. Annuaire du bureau des longitudes pour 1851. 1 vol. in-12 rel. – Chevreul. Loi du contraste simultané des couleurs. 1839. 1 vol. rel. - Congrès scientifique de France, onzième session. Angers, 1843. 2 vol. in-8° rel.

51. Gouget. Traité théorique et pratique du levé des plans. Orléans, 1870. 1vol. in-8° rel. Pl. - Vogin. Traité pratique d'arpentage. Vesoul, 1870. 1 vol. rel. 4 pl.

52. Desportes et Constancio. Conspectus des Pharmacopées de Dublin, Edimbourg, Londres et Paris. Paris, 1820. 1vol. in-12, veau pl. - Barbier. Traité élémentaire de matière médicale. Paris, 1824. 3 vol. rel. (mouillé, taché). - Alibert. Nouveaux éléments de thérapie et de matière médicale. Paris, 1816. 2 vol. veau pl. (reliure fatiguée).

53. 22 brochures sur la Chimie, la Zoologie, etc. - Catalogue de la bibliothèque Ad. Brongniart ; 1876.

54. Association française pour l'avancement des sciences. 1872­-1876. 5 vol. in-8° cart.

55. Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux. Années 1854, 1861, 1864, 1867, 1869. 5 vol. in-8° rel. pl. n. et col.

56. 10 mémoires sur les Sciences naturelles, par Cuvier, Fourcroy, Réaumur, etc. - 6 brochures : Catalogue des produits des colonies françaises. Notices sur le Canada, le Chili, l'Uruguay, etc.

57. Beudant. Cours élémentaire d'histoire naturelle : minéralogie et géologie. 14e édition. 2 parties en 1 vol. broch. - Gilbert et Mar­tin. Précis d'histoire naturelle (Géologie, Minéralogie, Botanique). Paris, 1839. 1 vol. veau pl. - Boitard et Canivet. Manuel du natura­liste-préparateur (Roret). Paris, 1828, éd. 2 vol. in-12 rel.

58. Buffon. Œuvres (éd. Pillot), Paris, 1829-1831. 29 vol. br. in-8°. Pl. col.

59. Lacépède. Œuvres. Quadrupèdes, ovipares, serpents, poissons. Paris, 1830-1832. 13 vol. in-8° br. Pl. col.

60. 1 lot de Guides de chemins de fer, Catalogues des Beaux-Arts, 4 nos de la Lanterne, 5 de la Cloche, Biographie de Rochefort, etc.

BOTANIQUE.

1. OUVRAGES GENERAUX.

61. Mémoires de la Société Linnéenne de Paris. 1822-28. 6 vol. in-8° rel. Pl.

62. Bulletin des Sciences de la Société philomatique de Paris. 1815-1818. 4 part. en 1 vol. in-4°, rel. Pl. (Mémoires de botanique, par Saint-Hilaire, de Candolle, Cassini, Brisseau-Mirbel, etc.).

63. Mémoires de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève. 1821-28. 4 vol. in-4° cart. Pl.

64. Bulletin de la Société Botanique de France. 23 vol. in-8° br. et en livr., ex complet jusqu'à 1876 inclus. - Tables des 20 premiers vol. reliées à part en 1 vol.

 

à suivre ...

 

 

Le petit Viginet, n°25, juin 2008

 

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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 01:57
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le onzième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

 

 

CHAPITRE XI

Les derniers jours du Roi Louis-Philippe et de la Reine Marie Amélie en France, 25 février-2 mars 1848.

 

Tant de récits inexacts ont été publiés sur les derniers jours du Roi Louis-Philippe en France, principalement par M. de Lamartine, dans son Histoire de la Révolution de 1848 (nous devrions dire son roman), qui n'est qu'un tissu d'erreurs plus ou moins volontaires, que nous avons jugé utile et intéressant de rectifier des récits fantai­sistes et de dire très exactement ce qui se passa alors.

Le Roi, persuadé que la Régence était procla­mée à la Chambre des députés à Paris, croyait que son éloignement immédiat écarterait tout soupçon que son abdication eût été arrachée par la violence, et il avait songé à se rendre au château d'Eu. Mais le départ avait été si préci­pité, qu'aucuns préparatifs n'avaient été faits. Le général Dumas conduisit Leurs Majestés à Trianon d'abord, puis (dans deux berlines prises à Versailles), à Dreux, où l'on arriva dans la soirée du 24. Pour conserver l'incognito et voyager avec plus de sécurité, on avait jugé pru­dent de se séparer.

Une des berlines fut donnée à la Princesse Clémentine de Saxe-Cobourg et Gotha qui, avec son mari, ses trois enfants et la petite fille du Duc de Nemours, la Princesse Marguerite, voyagea sous les auspices de M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, et arriva heureusement à Boulogne où, à bord du paquebot, elle rencontra le Duc de Nemours, avec lequel elle débarqua à Folkes­tone le 27 février.

Le 25 février au matin, à Dreux, le Roi et la Reine apprirent la proclamation de la République à Paris. Gagner la côte la plus proche et passer en Angleterre, fut le parti auquel ils s'arrê­tèrent ; il fut décidé que l'on se dirigerait vers Honfleur, au pavillon de la Grâce, propriété de M. de Perthuis, officier d'ordonnance du Roi. Il y avait alors, à Dreux, un sous-préfet, M. Ma­réchal, homme de tête et de cœur, dont l'intelli­gence égalait le dévouement. Assis sur le siège de la berline, il conduisit le Roi et la Reine à Évreux. On passa par Anet, Pacy-sur-Eure et la Roche-Saint-André où c'était jour de marché. Là, les augustes fugitifs furent reconnus, mais M. Maréchal s'étant nommé, aucune difficulté ne fut faite pour leur départ. On passa la nuit du 25 dans les environs du château de Malleville, appartenant à M. Dorvilliers, agent du Roi pour la forêt de Breteuil, qui était absent, ainsi que toute sa famille. Son fermier, un nommé Re­nard, crut d'abord qu'il avait devant lui des amis de M. Dorvilliers, et ne dissimula pas l'indigna­tion, l'horreur même que lui inspirait la nou­velle venue de Paris de la proclamation de la République. Ce langage inspira confiance, et on lui nomma les fugitifs. Très ému, il offrit de rendre tous les services que l'on souhaiterait. On courut à Évreux chercher M. Dorvilliers qui se mit aux ordres du Roi, et assura que l'on pouvait compter sur son fermier, homme courageux et intelligent. M. Maréchal, qui n'était plus dans son arrondissement, prit congé de Louis-Philippe, que Renard se chargea de conduire d'Évreux à Honfleur, dans son cabriolet, pendant que son valet de ferme prendrait la Reine dans la berline. Le secrétaire général de la préfecture d'Évreux, averti par M. Maréchal, était accouru à Malle­ville, et guida le valet de ferme, pour que la berline évitât la partie la plus fréquentée de la ville.

Renard conduisit tout d'un trait, avec de courts arrêts dans les auberges sur la route, le cabriolet où il se trouvait avec le Roi et son valet de chambre.

La nuit était venue. Pendant la soirée du 26, le temps était froid. Le Roi, déjà âgé, souffrit du vent et de la pluie pendant les quelques heures que dura le trajet jusqu'à Honfleur, distant de vingt-quatre lieues. La Reine était avec sa femme de chambre et le général de Rumigny, dans la berline. A trois heures et demie du matin, au re­lais de Pont-Audemer, le Roi et la Reine purent échanger quelques mots. Les deux voitures arrivèrent le 27 février, au point du jour, au pavillon de M. de Perthuis à Honfleur. Là, le brave Renard se retira, sans vouloir rien accep­ter, heureux, disait-il, d'avoir pu servir son Roi !

Le général Dumas, qui avait quitté celui-ci à Dreux, ainsi que M. de Pauligue, avaient gagné Rouen par le chemin de fer, et, le dimanche 27 seulement, arrivaient à Honfleur. Au Havre, le général Dumas et M. de Perthuis s'étaient rejoints, et ce dernier s'était occupé, avec M. Besson, un de ses amis, officier de marine, de trouver un bâtiment. Le jardinier du pavillon, nommé Racine, se montra non seulement dévoué, mais actif et intelligent. Il demanda la permis­sion de consulter un de ses amis intimes, nommé Hallot (un ancien matelot de la Belle-Poule, le bâtiment du Prince de Joinville, et qui avait été décoré par le Roi). Hallot, également plein de zèle, proposa de se procurer un bateau-pêcheur à Trouville, et il s'offrit ensuite pour conduire Louis-Philippe en Angleterre : on ne pouvait songer à faire partir la Reine sur une aussi petite barque. Sa Majesté consentit à laisser le Roi s'éloigner seul, à la condition absolue que s'il était arrêté, elle irait le rejoindre. Tout fut con­venu pour la nuit de 28 février, mais le vent était si violent et la mer si houleuse, qu'il y aurait eu danger à s'embarquer. Le général de Rumigny arriva à Trouville quelques heures avant le Roi, et prit des mesures pour le cacher, jusqu'au moment de son embarquement. Il avait mis dans la confidence le capitaine du port, M. Henri Barbet.

Le Roi se confia alors à cet homme. Cet hon­nête militaire le conduisit chez son frère, Victor Barbet, dont la fille, veuve d'un marin, avait pour la Reine et la famille royale une grande vénéra­tion. Ce fut une joie pour elle de recevoir le Roi, qui accepta cette hospitalité du 29 février au 1er mars au soir. Ceux qui accompagnaient le Prince étaient allés loger dans une auberge voi­sine. Pendant ce temps, du lundi soir 28 au 2 mars, la Reine resta seule à la Grâce, avec Mlle Muser, sa dévouée et intelligente femme de chambre.

Pendant ce temps, le Gouvernement provisoire de Paris envoyait l'ordre de doubler les senti­nelles sur toutes les côtes, et d'exercer la surveil­lance la plus rigoureuse dans les ports. Le capi­taine Barbet, alarmé de ces dispositions, eut la fâcheuse idée de rompre le marché conclu avec le premier bateau qui n'avait pu prendre la mer à cause du mauvais temps. Il offrit 1 000 F à chacun des deux matelots. L'un d'eux, mécontent, répandit le bruit qu'on lui avait offert de l'argent pour transporter, en Angleterre, un étranger caché chez Victor Barbet. Cette nouvelle occasionna une vive rumeur dans toute la ville de Trouville.

Tout à coup, le 1er mars, à huit heures du soir, le capitaine Barbet se précipite dans la chambre où se trouvait le Roi, lui apprenant que les autorités allaient faire une perquisition dans la maison, et qu'il fallait fuir, sans perdre une minute. Il l'entraîne, le confie à M. Guestier, un des propriétaires de Trouville, qui venait d'y exercer les fonctions de maire. Chez M. Guestier, famille et serviteurs s'étaient mis au ordres du Roi, lui déclarant que sur une population de trois  mille habitants, il n'y avait pas six républicains. La suite du Roi, qui s'était dispersée à la première alarme, le rejoignit chez M. Guestier. Là, on resta quelques heures attendant que les rues fussent à peu près désertes. C'était à qui montrerait le plus de zèle pour avoir l'honneur de conduire le royal fugitif et de se dévouer pour son service.

Le Roi et ceux qui l'accompagnaient partirent en avant à pied. On avait dû aller chercher chez le bourrelier le harnais du cabriolet de M. Guestier. Ce harnais heureusement était raccommodé. On passa devant trois corps de garde, qui ne firent pas attention aux voyageurs. Au village de La Touque seulement, Louis-Philippe put monter en voiture et entre quatre et cinq heures du ma­tin, arriva à peu de distance de La Grâce, où il ne tarda pas à être réuni à la Reine. Puis, M. Guestier se dirigea seul vers Quillebœuf pour chercher une retraite sûre, car il ne croyait pas probable que le Roi pût parvenir à s'embarquer à Honfleur.

M. Besson, le 27, avait cru pouvoir demander en confidence, au capitaine du paquebot anglais l'Express qui faisait le service entre Le Havre et l'Angleterre, de prendre un voyageur dans une barque en mer. Celui-ci avait répondu qu'à son grand regret il ne pouvait s'écarter de sa route, mais en arrivant à Southampton il avait avisé l'Amirauté anglaise qui, devinant qu'il s'agissait d'illustres proscrits, avait envoyé de suite, sur divers points de la côte, plusieurs bâtiments à vapeur, chargés de recueillir la famille royale en fuite.

Le jeudi 2 mars, à la pointe du jour, M. Jones, vice-consul anglais au Havre, vint à La Grâce annoncer, de la part du consul, M. Featherston­haugh, que le bateau à vapeur l'Express était de retour, et mis entièrement à la disposition du Roi. Il apprenait, en même temps, que le Duc de Nemours, la Princesse Clémentine et leurs en­fants étaient heureusement arrivés en Angleterre. On trouva plus prudent d'attendre le soir ; et le 2 mars, entre 5 et 6 heures, Louis-Philippe descendit, sous une pluie battante, la colline de Notre-Dame-de-Grâce, pour aller prendre passage, avec la Reine, sur le paquebot qui faisait le service entre Honfleur et Le Havre. Ce paquebot, le Courrier, sur le pont duquel le Roi et la Reine, confondus avec les passagers, firent la courte traversée de Honfleur au Havre (1) ne devait pas partir dans cette soirée du 2 mars. Ce fut M. Adolphe d'Houdetot, receveur des finances au Havre, frère du comte d'Houdetot, aide de camp du Roi qui, mis dans la confidence, frêta le bâteau, sous le prétexte d'aller chercher des fonds attendus pour le service de la recette.

Pendant ce temps, le procureur de la République cherchait vainement le Roi à Trouville, et quelques heures à peine après son départ, faisait avec des gendarmes une perquisition au pavillon de la Grâce.

Le vice-consul anglais, un moment oublieux de son rôle, se laissait aller à des éclats de voix bruyants, qui dominaient le bruit des vagues, et la musique discordante, exécutée à bord du Courrier par de pauvres artistes allemands qui jouaient l'air de Grétry : « O Richard, ô mon Roi, l'uni­vers t'abandonne ! ». Le hasard a toujours de ces à-propos. La Reine avait suivi une autre route que celle prise par le Roi : elle était accompagnée de M. de Perthuis. Enveloppée d'un manteau fort simple, recouvrant sa robe de moire noire garnie d'hermine, elle s'assit sur un banc, en compagnie de sa femme de chambre : les amis du Roi obser­vant entre eux la plus grande réserve, restaient isolés les uns des autres.

On arriva au Havre. Aucun gendarme ne veil­lait pour demander les passeports, les douaniers se promenaient silencieux, et la population sem­blait témoigner par son absence, d'une discrète et respectueuse protection. Le changement de bateau put donc s'opérer dans la plus complète sé­curité.

En débarquant sur le quai du Havre, le Roi, avec le général de Rumigny, le général Dumas, le consul et le vice-consul anglais montèrent sur le paquebot l'Express. Louis-Philippe était muni d'un passeport anglais, au nom de M. William Smith. La Reine, avec MM. Besson et Adolphe d'Houdetot, le rejoignait dans une cabine, et le consul put s'écrier : Enfin, grâce à Dieu, Sire, vous êtes sauvé !... Puis, à la grande joie de Leurs Majestés, il leur apprenait que la Duchesse de Montpensier était à Londres, le Duc de Montpen­sier, la Duchesse de Nemours et ses deux fils en sûreté à Jersey. On n'avait encore aucune nou­velle de Mme la Duchesse d'Orléans, du Comte de Paris et du Duc de Chartres ; le lendemain, 3 mars seulement, on fut rassuré sur leur sort.

Le Roi et la Reine se croyaient sauvés quand, sans le savoir, ils échappèrent à un nouveau danger. Une femme, qui exerçait sur le port les fonctions de commissionnaire, pour recommander les logements, à l'arrivée des paquebots, reconnut Louis-Philippe et le dit à un officier du port. Celui-ci se dirigea aussi tôt vers l'Express, il entrevit le Roi, et le reconnut aussi au moment où il descendait dans sa cabine. Il interrogea alors le capitaine, qui lui répondit qu'il partait avec des dépêches. L'officier lui demanda de visiter les cabines ? - Très volontiers, répliqua le capitaine, à mon prochain voyage, à moins que vous ne vouliez faire la traversée avec nous ? il est neuf heures précises et je dois prendre le large à cette heure. - Que signifie ? - Voyez. - ­Le capitaine avait fait un signe, le câble, détaché rapidement par ses matelots, et le paquebot s'ébranlant, l'officier n'eut que le temps de repas­ser sur le quai. De là il s'adressa à M. Feathers­tonhaugh, en le priant de lui dire qui il avait conduit quelques minutes auparavant à bord du paquebot ? - Mon oncle ! lui fut-il répondu d'un air narquois... – Ah ! monsieur le consul, qu'avez-vous fait !... - Ce que vous auriez fait vous-même à ma place, monsieur !... et le pa­quebot s'éloigna à toute vapeur. On apprit plus tard que cet officier avait envoyé de suite un rap­port sur le départ du Roi au nouveau préfet de Rouen.

Malgré une mer assez mauvaise, la traversée, qui dura dix heures, s'accomplit heureusement et Leurs Majestés débarquèrent le vendredi 3 mars, à sept heures du matin, à Newhaven. Le 4, elles arrivaient au Palais de Claremont, où la Reine Victoria leur offrit l'hospitalité, d'accord en cela avec le gendre du Roi Louis-Philippe, Léopold Ier, Roi des Belges, qui avait la jouissance de ce château.

Chose frappante et digne d'être remarquée ! Dans ce brusque départ de France, au milieu de tous les dangers et des péripéties d'une fuite, au milieu d'une population qu'on aurait pu supposer hostile, partout, à chaque instant, le Roi Louis-Phi­lippe est reconnu, et partout, à Dreux, à Évreux, à Trouville, à Honfleur, au Havre, à mesure qu'il s'avance dans sa pénible route, les dévouements se multiplient. C'est que, dès que les événements de Paris avaient été connus en province, la stupeur, la consternation avaient gagné les populations. La révolution de février ne répondait à aucun désir des français ; elle était subie, mais non acclamée. Beaucoup de ceux qui réclamaient une réforme électorale n'avaient jamais eu la pensée de renverser le trône. On l'a dit avec raison : ce ne fut pas la nation française, mais cinquante conspirateurs, et deux mille bandits,  qui, usurpant ses droits, proclamèrent la République le 24 février 1848 (2).

« Il y avait, a dit justement M. Cuvillier-Fleury (3), un Roi bon politique, nullement charlatan, homme sérieux et positif, très actif et très prévoyant, qui se contentait de gouverner selon les lois, de donner protection à tous les intérêts, et qui disait aux gens : «  Vivez tranquilles, semez, labourez, commercez, échangez, enrichissez-vous. Faites des livres, et tâchez de les écrire en bon français ; faites des tableaux, et portez-les dans les musées. Soyez libres en respectant la liberté ! Soyez reli­gieux en respectant les consciences ! Soyez libé­raux sans troubler l'État ! Soyez progressifs, si vous le voulez, pourvu que le mieux ne soit pas la corruption du bien ».

« Mais quoi ! un Roi qui parle un pareil langage, qui ne demande à son peuple que d'être heureux, qui ne lui procure aucun spectacle extraordinaire, aucune émotion qui ne sait ni inventer l'impossible, ni pour chasser le chimérique, ni exalter l'inconnu ; un Roi qui est franc, sincère, pratique, le Roi légal d'une nation libre ! un pareil régime avait duré dix-huit ans ! n'était-ce pas trop ?... Si vous recherchez les vraies causes de la révolution de février, les voilà ! ».             

«  La République est faible (dit un peu plus tard le Roi à M. Cuvillier-Fleury) ce n'est pas une raison pour qu'elle périsse. Les gouverne­ments, en France, ont plus de facilité à s'établir parce qu'ils sont faibles, qu'à durer quand ils sont forts. Faibles, tout leur vient en aide. « Les bourgeois de Paris ne m'auraient pas renversés, s'ils ne m'avaient cru inébranlable. »

Mot juste et profond, après lequel il n'y a plus rien à dire sur cette révolution qui a eu tout l'odieux d'une catastrophe, et tout le ridicule d'une duperie.

 

(1) Pour donner une idée de la légèreté avec laquelle M. de Lamartine raconte la révolution de février, nous croyons devoir citer ses propres expressions : ... « Cinq jours entiers, dit-il, un vent contraire, une mer terrible s'opposent au départ de ces bâtiments. Le Roi, dévorant les heures, se ronge d'impatience et d’inquiétude ; il va et revient plusieurs fois, à travers champs, et par les tempêtes de la nuit, de sa retraite (Honfleur) au port du Havre à sa retraite… »   

M. de Lamartine parle du Roi, passant et repassant entre Honfleur, à travers champs ! il est le seul à ignorer qu’entre ces deux villes il y a un large bras de mer !...

Histoire de la Révolution de 1848, par M. de Lamartine. Tome II, pages 70 et 71.

(2) Il nous semble assez curieux de rappeler ici l’évaluation des dévastations qui eurent lieu dans le domaine privé du Roi Louis-Philippe, le 24 février 1848. Nos chiffres sont empruntés au remarquable ouvrage : Le Roi Louis-Philippe. - Liste civile, par le comte de Montalivet, ancien ministre, exécuteur testamentaire et fidèle ami du Roi, qu'il servit jusqu'à sa mort avec le plus constant et intelligent dévouement.

Pendant trente ans, prince ou roi, Louis-Philippe s’était plu à embellir, par de grands travaux, le Palais-Royal et le château de Neuilly. Quelques heures ont suffi pour anéantir l’œuvre de tant d'années !

Trois résidences royales, les Tuileries, le Palais-Royal et Neuilly ont été envahies par les insurgés du 24 février. Le Palais des Tuileries faisait partie du domaine de l'Etat, et en 1840 le Palais-Royal avait fait retour à l'État, à la charge du public, d'indemnités stipulées par les lettres-patentes de 1692 et la loi du 2 mars 1832.

Le château de Neuilly seul faisait partie du domaine privé. Cette résidence favorite du Roi a été incendiée et pillée de fond en comble. On remarquera que, pour l'évaluation seule des bâtiments détruits et saccagés, on trouve un peu plus de trois millions de francs ! Pour les 914 œuvres d'art, tableaux, dessins, gravures, etc., détruits au Palais-Royal ou à Neuilly, on constate une perte de 768 780 F, et pour une magnifique collection de 813 médailles et d'un millier de volumes des biblio­thèques, on arrive, au chiffre de 85 100 F. Si l'on récapitule, on trouve les chiffres suivants :

Bâtiments               3 065 246  

Objets d'art               768 180

Bibliothèques              85 100

Mobilier                 2 460 750

Écuries                      231 757

Caves                        326 421

Ce qui fait un total, pour les dévastations, de 6 938 054.

Environ sept millions de francs ! et cette évaluation, faite en 1850, est entiè­rement indépendante des pertes de tout genre supportées par la Reine et par les autres Princes de la famille royale. M. de Monta­livet n'a tenu compte, dans son travail (appuyé de documents justifi­catifs) que de ce qui était personnel au Roi Louis-Philippe. Que l'on juge maintenant si notre épithète de bandits est bien méritée pour les vainqueurs de Février !

(3) Portraits politiques et révolutionnaires, par M. Cuvillier-­Fleury, chez Michel Lévy (1850).

 

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14 décembre 2008 7 14 /12 /décembre /2008 06:41
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le dixième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE X 

La charité et la munificence du Roi (1830-1848). - Ses dépenses personnelles. - Ses dettes. - Les bienfaits du Roi envers les Bonaparte. - Le collier de la Reine Hortense. - L'é­chauffourée de Strasbourg (1836). - Clémence du Roi envers Louis-Napoléon, auquel il fait donner 16 000 francs. - L'é­chauffourée de Boulogne (1840). - Évasion du fort de Ham. - L'amnistie de 1837. - Lettre du Roi sur l'amnistie. - Mort du Duc d'Orléans (1842). - Ce que fut le Gouvernement de Juillet. - Quelle fut sa faute ? - Les attentats contre le Roi. - La Révolution du 24 février 1848. - La vérité sur le dé­part du Roi Louis-Philippe, le 24 février.

 

Nous avons montré Louis-Philippe dans sa vie privée, accessible à tous, chef d'État aimant la paix, encourageant les lettres et les arts, enfin, ouvrant à la France une ère de prospérité réelle. Nous voulons raconter encore quelques traits de ce Roi trop méconnu, qui fut toujours simple, affable, bon, et, en même temps, fin politique.

Pour préciser davantage, nous rappellerons que les actes de la charité et de la munificence royale, de 1830 à 1848, s'élevèrent à la somme totale de 42 millions 850 000 francs. Un détail assez curieux : le Roi appliquait chaque année à sa dépense purement personnelle, une somme de 10 000 francs au plus, et il ne voulut jamais que le trésor public dépensât rien pour les Princes, ses fils, dans leurs commandements ou dans leurs missions.

En résumé, a écrit, avec preuves à l’appui, M. de Montalivet, ce Roi accusé d'être avare, était usufruitier d'une portion du domaine de l’Etat, et l'a entretenu avec plus de soin et à plus grands frais que ne le fit l'État après 1848. Ce roi qu’on a dit être cupide, affecta à des améliorations, à des dons de toute espèce, une somme 110 millions environ, dont l'emploi, sans contrôle, appartenait tout entier à son libre arbitre, à sa volonté absolue. En 1848, les ennemis les plus acharnés du gouvernement tombé constatèrent, avec autant d'étonnement que de dépit, que les dépenses de toute la liste civile, pendant le règne, avaient excédé les recettes de 55 millions 36 611 francs. Par conséquent, ce pauvre Roi, accusé d’économiser, dépensa en trop, chaque année, 3 millions 14 835 francs, qui avaient été payés sur sa fortune personnelle.

Un adroit ennemi du Roi et du gouvernement de Juillet, M. de Cormenin, répandit à profusion, pendant bien des années, des brochures où chaque ligne est un mensonge. Il reprochait au Roi une sordide avarice, et l'accusait de placer ses économies à l'étranger. Parlant sans contradicteur aux classes populaires, il espérait lui nuire, et dé­truire sa grande popularité. Pendant les pre­mières années du règne, ce pamphlétaire, dont l'histoire a depuis longtemps fait justice, insi­nuait que le Roi plaçait ses économies à l'étran­ger, et enfin, en 1837, il avait l'audace d'inventer le chiffre imaginaire de 97 millions et demi éco­nomisés à son profit : « Tout cet argent, disait-il, est encoffré dans des tonnes, en bons écus, parfaitement ronds, bien sonnants et bien pe­sants »… Certes, nous admettons des adver­saires politiques qui attaquent loyalement un souverain ou un gouvernement. Mais comment faut-il juger des affirmations aussi perfides et aussi mensongères ?... Le gouvernement pro­visoire républicain de 1848 eut entre les mains toute la comptabilité de la liste civile et du do­maine privé, et M. Vavin, le liquidateur, loin d'admettre les calomnies de M. de Cormenin, constata, non sans surprise, que le Roi avait volontairement fait don à l'État de 48 millions et demi, tous dépensés pour la splendeur de la France.

Montrerai-je maintenant la clémence de Louis-­Philippe envers ses ennemis les plus avérés ? Au commencement de son règne, vers 1832, la mère de celui qui devait être Napoléon III, la Reine Hortense, eut recours plusieurs fois à lui, non seulement pour se rendre en France, dont elle était bannie, mais pour obtenir d’y être accompagnée par son fils Louis-Napoléon. A l’insu des ministres, le Roi avait accordé l’autorisation de traverser la France. La Princesse, dans une audience demandée pour lui faire ses remerciements, le pria d'excuser son fils qui, retenu par une indisposition, n'avait pu l’accompagner.Non seulement celui-ci n'était pas malade, mais il était en conférences avec des républicains et cherchait, avec eux, les moyens de renverser le gouvernement ! A ce procédé inqualifiable, Louis-Philippe répondit par un nouvel acte de générosité. La Reine Hortense, pressée par des besoins  d'argent, le fit prier de vouloir bien lui acheter un magnifique collier de saphirs et diamants qu'elle possédait. Elle souhaitait le vendre 400 000 francs environ. M. Bapst, joaillier de la couronne, l’estima 350 000 francs environ. Louis-Philippe fit remettre 700 000 francs, sur sa cassette (1), à la mère de Louis-Napoléon Bonaparte.

Quelque temps après, Louis-Napoléon cherchait vainement à soulever la garnison de Strasbourg. Arrêté immédiatement, il aurait pu être traduit en Conseil de guerre et fusillé. A ceux qui auraient voulu invoquer le nom de Napoléon, il aurait suffi de rappeler l'épouvantable assassinat du duc d'Enghien, exécuté dans les fossés de Vincennes, le 19 mars 1804, alors que Ie gouver­nement de Bonaparte avait en mains les preuves évidentes de sa complète innocence. Mais les pro­cédés sanglants et arbitraires du Consulat n'é­taient pas ceux du Gouvernement de Juillet : la Reine Hortense accourut à Paris, implorant l'in­dulgence du Roi pour son fils, coupable seule­ment (disait-elle dans ses illusions) d'une étour­derie de jeunesse. Louis-Philippe lui assura d'a­bord que la vie de son fils ne courait aucun danger, et mit le comble à sa bonté, non seule­ment en ne l'emprisonnant pas, mais en le faisant embarquer pour l'Amérique. A Paris, où Louis-Napoléon fut conduit, il apprit du préfet de police la faveur dont il était l'objet. Il écrivit aussitôt au Roi pour le remercier, et recom­mander à la clémence royale ses amis arrêtés avec lui. Le 21 novembre 1836, comme il allait s’embarquer sur la frégate l’Andromède, le sous­-préfet, M. Villemain, lui demanda, par ordre du gouvernement, s'il avait assez d'argent pour faire face à ses premiers besoins en Amérique. Sur sa réponse négative, le sous-préfet lui remit, de la part du Roi, une somme de seize mille francs en or.

Quatre ans plus tard, le 6 août 1840, Louis-­Napoléon débarquait sur la plage de Boulogne-­sur-Mer, à la tête de quelques amis, pour ren­verser le gouvernement. Ni les habitants, ni l'armée n'avaient été séduits par ce prétendant, qui arrivait avec un aigle apprivoisé sur le poingt ! Louis-Napoléon, se sentant perdu, crut, en tirant un coup de pistolet sur un pauvre grenadier qui fut cruellement blessé, réchauffer le zèle de ses partisans. Son illusion fut de courte durée, et il essaya vainement de regagner son bateau. La chaloupe chavira, et le prétendant, tout trempé, fut retiré de la mer et conduit en prison. Les gardes nationaux, en le poursuivant, tuèrent un des conspirateurs. Ce sang, inutilement versé, assombrit d'une teinte tragique un dénouement qui aurait dû appartenir exclusivement au domaine burlesque. Telle fut, en réalité, l'échauffourée de Boulogne, qui, quoiqu'en aient dit certains journalistes, n'eut aucune importance et aucune influence sur les événements ultérieurs.

Le Gouvernement n'eut garde de rendre une seconde fois la liberté au prince Louis-Napoléon, et Louis-Philippe laissa la justice suivre son cours. Le procès des accusés de Boulogne eut lieu au milieu de l'indifférence publique, et Louis-Napoléon fut condamné à un emprisonnement perpétuel dans une forteresse du royaume.

Renfermé au fort de Ham, il expia, selon son  expression, par un emprisonnement de six années, « sa témérité contre les lois de son pays ». Grâce à la complicité de son ami, le docteur Conneau, et d’un maçon nommé Badinguet, dont il prit les habits, il s'échappa de Ham, et put gagner l'Angleterre. Il ne devait en revenir qu'en 1848, pour se faire nommer Président de la Ré­publique.

Nous pourrions citer encore bien des traits de bonté du Roi Louis-Philippe, envers d'autres membres de la famille Bonaparte, qui, pressés par des besoins d'argent, eurent recours à la générosité royale (2) ; nous nous arrêterons ici, et avec M. de Montalivet, nous ferons remarquer seu­lement que « par un privilège unique peut-être dans l'histoire, la Providence faisait du Roi Louis-­Philippe le protecteur des familles princières au nom desquelles d'implacables factions s'efforçaient incessamment de le perdre dans l'opinion du pays ».

N'oublions pas cependant de parler d'un acte dû à l'initiative personnelle du Roi, acte qui causa une vive satisfaction dans toute la France. Le 8 mai 1837, à l'occasion du mariage du Prince Royal, le Duc d'Orléans, avec la Princesse Hélène de Mecklembourg-Schwérin, parut l'ordonnance royale de l'amnistie, pleine et entière, pour tous les délits et crimes politiques. Toutes les prisons s'ouvrirent, les fautes, les crimes même furent pardonnés, et la joie fut générale.

Madame Adélaïde était alors à Bruxelles. Voici dans quels termes le Roi faisait part à cette sœur dévouée, à cette amie si fidèle, de la grande mesure qu'il venait de prendre.

 

Lundi soir, 8 mai 1837, 11 h ½ du soir.

 

Tout est arrangé, ma chère bonne amie, et je m’empresse de te l'annoncer en descendant du Conseil… J'ai signé l'ordonnance d'amnistie pleine et entière à tous les condamnés politiques, par jugement définitif, actuellement détenus, et la peine de Boirot et de Meunier (3), qui ne sont pas politiques, est commuée en dix ans de bannissement. Elle sera demain dans le Moniteur, que tu recevras en même temps que cette lettre. Cette séance du Conseil a été remarquable. J'avais fait venir Pasquier et Dupin, non pas au Conseil, mais dans le salon bleu, où les débats ont été très éloquents ; Pasquier et Dupin ont été admirables, et finalement l’affaire est faite. Demain, au lever du soleil, le télégraphe l’apprendra à tout le royaume. A présent, discutera l'affaire qui voudra. Elle est faite. J'ai refusé l'amnistie tant qu’elle me paraissait une concession à la menace et qu'on pouvait y voir une faiblesse arrachée à la crainte ; mais je l’accorde avec bonheur quand elle est devenue mon acte spontané à la suite du triomphe d'hier (4) it is as it should. Je n'ai voulu ni rapport, ni proposition, C'est mon acte, et l'acte se défendra par 1ui-même.

 

Mardi matin à 11 heures, 9 mai 1837.


               Ma chère amie, avant de partir pour Versailles, j'ajoute quelques lignes à ma lettre d'hier soir. Je venais de la finir, et j'étais peu avancé dans la lecture des dépêches quand ma porte s'est ouverte! - Le Président du Con­seil !... Eh ! mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a encore ?... Puis les ministres en succession. - Enfin ce n'était qu'une modification de l'ordonnance qui avait été faite. Puis la nécessité d'un rapport. Enfin, après trois heures de séance dans mon grand cabinet, tout a été arrangé à la satisfaction commune, et à trois heures un quart ils ont été se coucher, et moi aussi. C'est un rude métier !... Enfin tout est terminé, à présent nous verrons comment cela sera pris. J'espère bien, en somme toute...

 

Cinq ans plus tard, une terrible catastrophe venait atteindre la famille royale et la France entière.

Le 13 juillet 1842, le Duc d'Orléans se tuait en sautant de voiture, alors que quelques minutes plus tard le postillon maîtrisait ses chevaux em­portés.

Ce fut un deuil national ; dans toutes les classes de la société, la mort du Prince Royal causa une immense douleur. Victor Hugo était bien l'écho de tous, lorsque s'adressant au Roi Louis-Philippe, il lui disait : « La nation pleure le Prince, l'armée pleure le soldat, l'Institut regrette le penseur… Populaire au dedans, national au dehors, rien ne lui a manqué, excepté le temps ; et l’on peut dire que tous les germes d'un grand Roi se manifestaient dans ce Prince, mort si jeune, hélas ! qui aimait les arts cornme François Ier, les lettres comme Louis XIV, 1a patrie, comme vous-même »...

Tout en maintenant haut et ferme le drapeau de la France à l'extérieur, le Roi Louis-Philippe consacrait ses soins vigilants à l’administration intérieure du pays. En 1846, sans faiblesse comme sans arrogance, il dédaignait la mauvaise humeur de l'Angleterre, irritée du mariage du Duc de Montpensier avec la sœur de la reine d'Espagne Isabelle II, unie elle-même avec un Prince de la Maison de Bourbon, Don François d'Assise. La prospérité publique se développait, la misère et l'ignorance reculaient devant le travail et l'instruction. La loi sur les chemins vicinaux rapprochait la ferme et la chaumière de l'église, de l'école, du marché et de la mairie. « Enfin, l'édifice politique était couronné par la liberté, sous la protection d’un Parlement armé de prérogatives d'examen et de contrôle les plus étendues, et sous l'œil vigilant et passionné d'une presse ne relevant que de la justice du pays. »

De 1830 à 1848, Louis-Philippe observa scrupuleusement la Charte qui avait inauguré son règne. « Quelques libéraux convertis avaient beau dire : « la légalité nous tue !... il respecta cette légalité, comme un filleul bien appris res­pecte sa marraine. Homme de tradition, ce qui est bien permis, même à un Roi constitutionnel, persuadé que l'aristocratie est, en somme, la meilleure gardienne de la liberté, il regretta l'hérédité de la pairie. Il se résigna pourtant, comprenant qu'il fallait faire la part du feu ou du diable démocratique. C'est, tout au plus, s'il se plaignait, en souriant, que les conditions im­posées à la nouvelle pairie fussent arrangées de telle façon qu'il lui était impossible de nommer ­pair de France le duc de Montmorency, son ancien ami. »...

Le Gouvernement de Juillet, a dit avec tant de justesse M. de Salvandy, « fut constitué dans un jour d'orage qui n'était pas le fait de la nation, et c'est là sa gloire. Il avait été établi pour rendre le repos à la France, en conciliant l'ordre avec la liberté ; il s'est employé, sans repos, à cette grande mission... il a prouvé que le génie des hommes, la libéralité des institutions et le bon­heur des peuples ne suffisent pas à fonder un gouvernement sur des bases solides »... On doit cependant reconnaître une grosse faute commise par le Gouvernement de Juillet. Il avait un ennemi dangereux, implacable dans le journalisme. Tous les jours, les feuilles de l'opposition déversaient l'injure et la calomnie contre le Roi ; quelques-unes même osèrent prêcher ouvertement l’assassinat, et ne furent pas étrangères à certains attentats commis par de malheureux fous qu’égaraient de détestables lectures (5). D'autres publiaient les pamphlets les plus odieux et les plus mensongers contre le Roi et les siens. Le Gouvernement ne se préoccupa pas assez de l'effet produit dans le peuple par ces calomnies quotidiennes, qui contribuèrent incontestablement à diminuer la popularité du Roi. Du haut de la tribune, M. Guizot s'écriait qu'on pouvait multiplier, entasser tant que l'on voudrait les injures et les calomnies, mais qu'on ne les élèverait jamais à la hauteur de son dédain. Magnifique langage assurément, mais qui ne suffisait pas.

Aussi, lorsque le 22 février 1848, eurent lieu les premiers troubles, sous prétexte d'organiser des banquets où l'on réclamerait la réforme électorale (que le Gouvernement entendait faire, mais à son temps et à son heure), en deux jours, l'é­meute dégénéra en révolution. Louis-Philippe, tranquille et confiant dans les mesures prises par le nouveau cabinet Thiers-Odilon-Barrot, abdiqua le 24 février en faveur de son petit-fils, le Comte de Paris ; la légèreté et l'insuffisance de ses nou­veaux ministres laissèrent s'accomplir la catas­trophe qui devait coûter si cher au peuple fran­çais.

Pendant tout son règne, Louis-Philippe avait scrupuleusement obéi aux lois. Il ne supposa pas que lui parti, les Français pussent violer cette Charte de 1830, à laquelle il avait été si fidèle, et renverser le trône, devenu par son abdication, celui de son petit-fils, le Comte de Paris.

On a raconté très inexactement le départ du Roi du palais des Tuileries. Nous croyons pouvoir affirmer que les faits se sont passés de la ma­nière suivante ; nous les tenons d'un témoin ocu­laire, le comte de Montalivet.

Lorsque l'invasion populaire menaça le châ­teau, le 24 février 1848, vers midi, le Roi, donnant le bras à la Reine, sortit du Palais par l'avenue centrale du jardin des Tuileries, accompagnés de six de leurs petits enfants, portés dans les bras, et entourés d'un fort détachement de la garde nationale à cheval, que le général Dumas avait prudemment commandé pour protéger le dé­part.

A la vue du Roi, les gardes nationaux expriment leur sympathie et leurs sentiments de fidélité par les cris de : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Louis-Philippe s'attendait à trouver ses voitures à la grille du pont tournant. Il ignorait qu’elles venaient d'être brûlées place du Carroussel par la multitude insurgée, et que ses piqueurs avaient été froidement massacrés. Après quelques minutes d'une pénible attente près de l’obélisque, au lieu des voitures attendues, parurent deux voitures appelées broughams et un cabriolet à deux roues, appartenant à la Maison du Roi. Elles avaient été envoyées, grâce à la prévoyante sollicitude de M. le Duc de Nemours qui était resté place du Carrousel, et dans ce moment suprême avait pris le commandement d’un corps de troupes à qui le nouveau ministère avait interdit l'usage de ses armes !...

Toutes les personnes de la famille royale que pouvaient contenir ces voitures y montèrent, ayant pour escorte le 2e régiment de cuirassiers du colonel Reibell, et un détachement de la garde nationale à cheval, commandé par le comte de Montalivet.

Le général Regnault de Saint-Jean d’Angély, ayant sous ses ordres la brigade de cavalerie concentrée sur la place, prit le commandement de l'escorte du Roi. Celui-ci avait, aux portières de sa voiture, ses aides de camp, le général Dumas, le Comte Friant, puis MM. Perrot de Chazelles et de Pauligue, ses officiers d'ordon­nance, ainsi que M. Fiereck, chef d'escadron d'artillerie, et officier d'ordonnance du Duc de Montpensier. Les voitures furent complètement enveloppées par les cuirassiers et la garde na­tionale à cheval.

Devant le pont des Invalides, une populace qui saccageait et brûlait un corps de garde, parut d'abord disposée à arrêter les voitures ; mais l'attitude d'une aussi forte cavalerie l'intimida, et celle-ci la fit reculer sans qu’un seul coup de fusil fut tiré. Le poste de la barrière de Passy, envahi déjà par les insurgés, présenta les armes en silence. Le général de Rumigny, aide de camp du Roi, put le rejoindre à Saint-Cloud, plus heu­reux que le général de Berthois, qui fut renversé de cheval, et s'échappa avec peine, au moment où la populace insurgée se dirigeait sur la Chambre des députés.

L'escorte royale n'alla pas plus loin que Saint-­Cloud. Lorsque le Roi, avant de quitter le palais de Saint-Cloud pour se rendre à Dreux, où il coucha le soir même, prit congé des soldats dans la cour du château, ceux-ci témoignèrent au Souverain (qui, hélas ! ne se doutait point encore que c'était là sa première étape pour l'exil), un enthousiasme et une fidélité dont fut vivement touché le Roi Louis-Philippe.

Tel fut le départ du Roi, départ travesti en fuite en fiacre par l'imagination non de sérieux historiens, mais de véritables romanciers.

 

(1) Ce collier appartient aujourd'hui à Madame la Comtesse de Paris.

(2) Voir les lettres du prince Jérôme Bonaparte pages 419 à 421, et de la princesse Caroline, frère et sœur de Napoléon, pages 310 à 315.

(3) Boirot, complice de Fieschi, Meunier, condamné à mort par la Chambre des Pairs pour avoir tiré sur le Roi le 27 décembre 1836.

(4) Le Roi fait allusion à une revue de la garde nationale et de l'armée qui avait eu lieu le 7 mai ; il y avait été accueilli avec le plus vif enthousiasme.

(5) Huit attentats eurent lieu contre le Roi Louis-Philippe pendant son règne. Bergeron, sur le Pont-Royal, 19 novembre 1832. (Bergeron fut acquitté, et l'auteur du coup de pistolet tiré sur le Roi resta  impuni). - Fieschi, machine infernale sur les boulevards, 28 juillet 1835. - Alibaud, dans la cour des Tuileries, 25 juin 1836. - Meunier, quai de la Mégisserie, 27 décembre 1836. – Champion, machine infernale avortée, quai de la Conférence, 1837. - Darmès, près du Pont de la Concorde, 15 octobre 1840. – Lecomte, forêt de Fontainebleau, 16 août 1846. - Henri, sur le balcon des Tuileries, 29 juillet 1846… enfin Quenisset qui tira sur le Duc d’Aumale et ses frères, 13 septembre 1841.

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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 01:40


Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le neuvième chapitre d'une série de douze.

Deuxième partie


LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

 

A l'appui de cette appréciation de Victor Hugo, nous rappellerons l'anecdote suivante :

Non seulement le Roi avait largement étendu le droit de grâce, mais lorsqu'il devait sanctionner les arrêts de la justice, il soumettait encore sa conscience à une dernière épreuve. Le comte de Montalivet raconte (5) qu'étant entré dans le cabinet du Roi à une heure avancée de la nuit, il le vit penché sur un cahier dont plusieurs pages étaient déjà chargées de son écriture. Il ne put s'empêcher d'adresser au Roi une question respectueuse, croyant que le Prince écrivait ses Mémoires :

« Mon Dieu, non ! me dit-il, vous me trouvez occupé d'un travail bien plus triste ; sur ce cahier que vous voyez, j'enregistre les noms des criminels condamnés à la peine de mort, de ceux que mon droit de grâce n'a pu protéger contre le cri de ma conscience ou les décisions de mon cabinet. J'y inscris le fait, les circons­tances principales, les avis divers des magistrats, l'opinion de mon Conseil quand il a délibéré. J'y expose les motifs impérieux qui ne m'ont pas permis de faire grâce, chaque fois que ma prérogative laisse à la justice son libre cours. J'ai besoin de me justifier à mes propres yeux et de me convaincre moi-même que je n'ai pu faire autrement. De là, cette dernière et dou­loureuse épreuve à laquelle je soumets mon âme ; je veux que mes fils sachent quel cas j'ai fait, quel cas ils doivent faire de la vie des hommes. Parce que l'on dit vulgairement le droit de grâce, je n'ai jamais cru que la clémence fut seulement un droit ; c'est encore, c'est sur­tout un devoir, qui ne peut être limité que par des devoirs d'un ordre supérieur. Je veux prou­ver à mes fils que je ne l'ai jamais compris au­trement: là est ma consolation quand la justice a frappé ! »…

Dans une circonstance peu connue, Louis-Phi­lippe montra envers une princesse qui ne cessait de conspirer contre lui, une générosité toute par­ticulière. On était à la fin d'octobre 1832 : la Duchesse de Berry, après avoir vainement tenté d'agiter et de soulever les fidèles populations de la Vendée, était cachée depuis le mois de mai à Nantes où aux environs. Le traître Deutz allait la livrer au gouvernement, et était d'accord pour cela avec M. Thiers.

A peine le Roi l'eut-il appris, qu'il manda la Reine dans son cabinet, et lui exposa ses inten­tions de faire fuir la Duchesse. La Reine, s'asso­ciant chaleureusement à cette pensée, cherchait comment on devrait s'y prendre pour cela, lors­que le comte de Montalivet (de qui nous tenons ce récit), entra dans le cabinet royal. - Que faire pour que notre cousine échappe à une arrestation qu'il me sera impossible d'empêcher dans peu de jours ? - Sire, conseilla M. de Montalivet, que M. Pasquier fasse venir M. de Pastoret, et celui-ci fera prévenir, à Nantes, madame la Duchesse de Berry, de fuir sans perdre une heure ?... Le Roi et la Reine donnent leur complet assentiment à la proposition. M. de Pastoret, alors un des repré­sentants autorisés du parti légitimiste à Paris, est averti: avis est promptement donné à la Du­chesse qu'elle est trahie, et qu'elle va être arrê­tée. On sait le reste. La Princesse refusa de fuir, rêvant toujours un soulèvement impossible. Elle fut arrêtée, et les ministres, responsables devant les Chambres, exigèrent que sa détention fut pro­longée jusqu'au jour où son union secrète avec le comte Lucchesi-Palli étant déclarée, en même temps que la naissance de son enfant, elle cessât d'être Française pour redevenir Italienne, et perdre ainsi tout prétexte à agiter le pays avec l'idée d'une régence éventuelle de son fils mineur, le Duc de Bordeaux.

On pourrait multiplier à l'infini les traits de bonté de Louis-Philippe.

Le 27 octobre 1833 le Roi, la Reine, les Princes et Princesses de la famille royale se rendaient au Bourget pour y attendre l'arrivée du Roi et de la Reine des Belges. Un courrier de poste nommé Vernet (7) passait auprès de la voiture du Roi, au moment où les postillons montaient à cheval. Le Roi l'appelle : Vernet se penche pour entendre les ordres qui vont lui être donnés ; sa selle tourne, il tombe au moment où les postillons, sans le voir, lancent les chevaux au galop. Aux cris de la Reine et des Princesses, la voiture s'arrête. Le Roi et le Duc d'Orléans s'empressent auprès du malheureux Vernet, que les officiers ont relevé et porté auprès d'un arbre. Le Roi l'interroge, le palpe, s'assure par lui-même qu'il n'a rien de fracturé, puis, voyant qu'une saignée pourrait le sauver, s'écrie : « Aucun médecin n'est proche; j'ai fait des saignées dans ma jeunesse, je m'en souviendrai... du linge sans perdre un moment... ». La Reine et les jeunes Princesses déchirent leurs mouchoirs. Le Roi bande le bras du pauvre courrier, tire une lan­cette de son portefeuille et fait une légère inci­sion qui réussit. Le sang coule ; le blessé revient à la vie, et se désole en songeant qu'il ne pourra plus remonter à cheval. Le Roi le console, et par d'affectueuses paroles relève son courage. Puis d'une main sûre arrête le sang, ferme la veine, fait des ligatures, et ne s'éloigne que lorsque le courrier a pu être remis entre les mains du médecin que l'on était allé chercher en toute hâte.

L'opposition avait beau jeu de railler ce Roi, le premier, a dit Victor Hugo, qui ait versé le sang pour guérir ; c'est dans la mémoire du peuple que de pareilles actions trouvent leur récompense.

La bienveillance du Souverain était extrême.Un jour, se promenant à Neuilly, il aperçoit un gamin d'une dizaine d'années qui s'efforçait de dessiner sur une porte du parc, avec un morceau de craie, la figure du Roi, caricaturée sous la forme d'une poire. Louis-Philippe s'approcha doucement de l'enfant et, lui prenant la craie, lui dit : « Tu t'y prends mal, c'est comme cela qu'il faut faire ! ». et il acheva la caricature ; puis, se tournant vers l'enfant confus et rougissant, il lui mettait dans la main une pièce de cinq francs, à la grande joie du bambin qui se sau­vait en criant à tue-tête : Vive Louis-Philippe ! pendant que le Prince, en souriant, lui faisait signe de se taire.

Une autre fois, un grand bal avait lieu aux Tuileries. Pour ces soirées, où l'affluence était toujours très grande, on prenait des domestiques supplémentaires, qu'on choisissait de préférence parmi les fournisseurs ordinaires du Palais. Le maître d'hôtel en. Chef, Lapointe, avait accepté les services d'un crémier de la rue des Pyramides qui avait une belle prestance, et souhaitait ardemment voir une fête aux Tuileries. A la fin du bal, le brave homme, en desservant le souper, avait été tenté par la bonne mine d'un perdreau froid, resté intact sur un plat et... il l'avait ra­pidement fait entrer dans la poche de son habit. Mais il avait été vu par le Roi, qui sans affectation s'approcha de l'endroit où il se tenait, et tout à coup à demi voix lui dit : « Les pattes passent ! ». On peut se figurer la terreur de l'homme qui demeura foudroyé, n'osant plus bouger. « Allons, rassurez-vous, ajouta le Roi avec bonhomie, et filez vite, car si Lapointe vous voyait, il vous chasserait ».

La bienfaisance de la Reine Marie-Amélie en­vers les malheureux était inépuisable, et si par­fois sa bourse se trouvait vide, elle ne s'adres­sait jamais en vain au Roi. Aussi recevait-elle des pétitions dont quelques-unes comme la sui­vante, œuvre d'Alexandre Dumas, étaient déli­catement tournées. Le brillant romancier écrivit à la Reine, en apostillant la pétition d'une des pianistes les plus distinguées de l'époque dont on allait vendre les meubles :

 

Lisez avec le cœur cette plainte touchante,

Qu'en humble ambassadeur je mets à vos genoux.

Toute chose ici-bas, Madame, suit sa pente,

L'aiguille tourne au pôle, et le malheur à vous.

 

Le lendemain, Alexandre Dumas recevait cinq cents francs pour sa protégée, de la part de la Reine.

Le Roi Louis-Philippe était doué, comme on l'a vu, d'une bonté à toute épreuve, d'une extrême finesse et d'une charmante bonhomie.

En 1835, après l'attentat de Fieschi, dont la machine infernale fit tant de victimes sur les boulevards, l'émotion en France fut extrême, et beaucoup de villes envoyèrent des députations à Paris, pour féliciter le Roi dont les jours avaient été préservés. La ville de Bordeaux était repré­sentée par quelques gardes nationaux. L'un d'eux, marchand de vins, d'une haute taille, bel homme, ayant sous le bras son bonnet à poil de grena­dier, se faufile peu à peu près du Roi, et sans hésiter, lui tient ce langage :

« Oui, Sire, s'écria-t-il, je le dis sans modestie, parce que c'est la vérité, il n'yen a pas un dans Bordeaux capable de vous servir comme moi. J'achète directement les premiers crus du Bordelais. Pas une pièce, pas une bouteille qui ne sorte de chez moi sans porter ma marque. Je vous enverrai une pièce, vous goûterez ; cela ne vous engage à rien, et si mon vin vous con­vient, comme j'en suis sûr, vous payerez quand vous voudrez; j'ai confiance en vous...)

Un de ses amis, mieux élevé que lui, compre­nant l'inconvenance de son compatriote envers le Souverain, voulut rompre la conversation ; poussant le coude de son ami, il s'approche et, avec la grâce la plus épanouie, il dit au Roi : ... Eh donc ! Sire, n'aurons-nous pas le plaisir de dé­poser nos respects aux pieds de votre épouse ? - Mon Dieu, non, répondit en souriant Louis-­Philippe, elle est obligée, ce soir, de garder la maison !...           

Une autre fois, c'était le tour d'une députation de l'Orne. Après un discours assez bien tourné d'un maire, le Roi s'approche, le félicite, s'en­quiert des besoins de sa commune, et dit : - Nous désirons vous avoir à dîner au palais : à mardi. - Impossible, Sire, répond le maire désolé, j'ai arrêté ma place à la diligence, et j'ai eu la bêtise de donner des arrhes. - Eh bien ! fit gaiement le Roi, ce sera pour demain alors,... à moins que vous ne soyez invité ailleurs !...

Ce fut cette bonté, cette familiarité avec tous, qui rendit Louis-Philippe si populaire pendant tant d'années. Pauvre Prince ! Combien, en 1848, il fut mal récompensé de tant de bonne grâce par ces bourgeois, si fiers de lui toucher la main !...

Du 2 au 7 septembre 1843, le Roi reçut à Eu la visite de la Reine Victoria. On trouve, dans les notes écrites par cette Princesse, la profonde im­pression qu'elle ressentit de cette visite, où elle fut accueillie avec empressement et la cordialité la plus franche.

Un des amis les plus dévoués et un des grands ministres de Louis-Philippe, M. Guizot, rapporte un mot significatif du Roi, pendant le séjour à Eu de la Reine d'Angleterre :

« Le Roi avait assisté à tant de désastres im­prévus, vécu au milieu de tant de ruines, et subi lui-même de telles détresses, qu'il lui en était resté une extrême défiance de l'avenir et une vive appréhension des chances funestes qui pouvaient encore l'atteindre, lui et les siens. Tantôt il se rappelait avec un juste orgueil, ses jours de vie errante et pauvre, tantôt il en parlait avec un amer souvenir, et une prévoyance pleine d'alarme. En septembre 1843, pendant la première visite de la Reine Victoria au château d'Eu, on se pro­menait un jour dans le jardin potager du château, devant des espaliers couverts de belles pêches; le Roi en cueillit une, et l'offrit à la Reine qui voulut la manger, mais ne savait comment s'y prendre pour la peler; le Roi tira de sa poche un couteau en disant : « Quand on a été, comme moi, un pauvre diable vivant à quarante sols par jour, on a toujours un couteau dans sa poche » ; et il sourit, comme tous les assistants, à ce sou­venir de misère (8) ».

Le 8 octobre 1844, le Roi, accompagné du Duc de Montpensier et de M. Guizot, ministre des Affaires étrangères, rendit à la Reine d'Angleterre, au château de Windsor, la visite qu'elle lui avait faite au château d'Eu l'année précédente. Ce fut à Portsmouth qu'il débarqua. Un souverain fran­çais en Angleterre, c'était un gros événement pour ce pays, qui n'en avait pas vu depuis la cap­tivité du roi Jean II, prisonnier après la bataille de Poitiers en 1356.

La Reine Victoria, sous le charme de l'esprit de Louis-Philippe, lui prodigua les plus vives marques de sympathie, et lui conféra solennelle­ment l'ordre de la Jarretière. La cour et le peuple anglais témoignaient avec éclat leurs sen­timents pour un Prince auquel ils savaient gré d'être à la fois libéral et pacifique. Quand le Roi se promenait dans les environs de Windsor, il était beaucoup plus chaleureusement acclamé que le Czar Nicolas l'avait été, notait la Reine Victoria dans son journal.

Louis-Philippe, calquant sa visite sur celle de la Reine à Eu, avait décliné les invitations de la cité de Londres. Alors on vit un fait sans précédent dans les annales de cette fière cité : tous les re­présentants, le lord-maire, les aldermens, shérifs, les conseillers, vinrent au château de Windsor en grande cérémonie, apporter une adresse au Prince qu'ils regrettaient de ne pouvoir fêter à Londres (9).

Lorsque Louis-Philippe, quelques jours plus tard, revint en France, les populations, sur son passage, témoignèrent, par la chaleur de leur accueil, leur satisfaction de ce voyage qui con­solidait cette grande politique de paix et de bonne intelligence avec l'Angleterre, qui était bien l'œuvre personnelle du Roi et de son mi­nistre, M. Guizot.

Ùn accident qui faillit coûter la vie à la famille royale presque tout entière, eut lieu à Eu, dans cet automne de 1844. Le Roi, accompagné de la Reine, de la Duchesse d'Orléans, du Comte de Paris, du Duc de Chartres, du Prince de Join­ville, du Duc d'Aumale et des jeunes Princesses, était allé en char-à-bancs visiter une batterie d'artillerie, près du Tréport, avait fait tirer un coup de canon au jeune Comte de Paris, alors âgé de six ans et qui avait bravement mis le feu à la pièce. Pour revenir, il fallait traverser sur une écluse un pont, dont les garde-fous étaient à peine visibles. La Reine et la Duchesse d'Or­léans voulaient descendre de voiture, le Roi s'y refusa. Au même moment, un coup de canon re­tentit, les chevaux prennent peur, trois tombent à l'eau. Heureusement le postillon des timoniers parvient à retenir les chevaux avec un rare sang-­froid, au moment où ils allaient franchir le pa­rapet. La famille royale était sauvée !

 

(5) Le Roi Louis-Philippe. Liste Civile. Pages 193 et 194.

(6) La Providence n'a pas permis que ce précieux carnet périt au milieu du pillage et de l'incendie. Une main fidèle a pu le re­mettre au Roi, pur et intact des atteintes du 21 février.

(7) C'est ce courrier qui, le 20 mars 1815, annonça à Paris l'arrivée de Napoléon.

(8) Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, par M. Gui­zot. Tome IV, page 217.

(9) Voir la correspondance de S.A.R. Madame Adélaïde avec le Roi Louis-Philippe, à propos de ce voyage. - Page 357 et suiv

 

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1 novembre 2008 6 01 /11 /novembre /2008 05:12
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le neuvième chapitre d'une série de douze.

Première partie (début)

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE IX

Ce que fut le Gouvernement de Juillet. - Le Roi et le minis­tère Casimir Périer. - La vie intime du Roi. - Il visite les travaux du Louvre et des Tuileries. - Le Roi au Conseil. Le Roi au Palais de Versailles. - Un tableau du Duc de Nemours. - Les manufactures de Sèvres et des Gobelins. ­Rapports du Roi avec l'Académie française et la littérature. - Bontés du Roi envers la Comédie-Française. - Les con­certs aux Tuileries. - Les soirées au Palais. - Les veilles du Roi. - Opinion de Victor Hugo. - Anecdote sur la détention de la Duchesse de Berry.- Anecdote du courrier de poste. ­Anecdotes : Louis-Philippe et le gamin de Neuilly. - Au bal : le domestique infidèle. - Bienfaisance de la Reine Marie Amélie. - Le marchand de vin de Bordeaux. - Visite à Eu de la Reine d'Angleterre. - Souvenirs de la jeunesse de Louis-Philippe. - Le Roi Louis-Philippe à Windsor. - Un accident à Eu.

 

Il n'entre pas dans le cadre de ce récit de retracer combien la France fut grande et pros­père pendant les dix-huit années que dura la Monarchie de Juillet. Rappelons seulement que sous ce gouvernement, la France fit la conquête de l'Algérie, où fut formée notre brave armée qui, six années après la révolution de février, combattit glorieusement en Crimée ; le royaume de Belgique fut fondé malgré la mauvaise humeur de la plupart des puissances, et principale­ment de la Prusse, qui recula devant le langage énergique tenu alors par le ministère français : la Turquie fut soustraite à la protection exclu­sive de la Russie; l'Égypte, redevable de son indépendance uniquement à la France, se cons­titua sous le gouvernement d'une vice-royauté héréditaire ; Paris reçut enfin des fortifications, les forces militaires du pays furent considé­rablement accrues, et en 1840, au moment où M. Thiers, alors ministre, allait témérairement entraîner la France dans une guerre européenne, ce fut le Roi qui, se séparant de son ministre, évita à la France, par sa sagesse et sa haute pru­dence, les dangers d'une guerre européenne.

Et cependant on ne savait pas gré alors au Roi du bon sens qu'il montrait et de l'intelligence avec laquelle il faisait prévaloir sa volonté.

Ces formules idiotes : la paix à tout prix ­– l’abaissement continu - la halte dans la boue ; partaient d'un bureau quelconque de journal chargé de tenir lieu d'esprit à une multitude d'imbéciles. Comme on l'a dit si justement, « nous savons aujourd'hui à quoi nous en tenir sur les divers prix de la paix, les divers degrés d'abais­sement et les diverses épaisseurs de boue ! Quelle solidité de bon sens ne fallut-il pas, quel instinct des véritables intérêts du pays, pour ré­sister à une impulsion redoublée, chaque matin, par les rumeurs de la rue, par les épigrammes des salons, par les provocations de la tribune, par les rodomontades de la presse ! Quelle sagacité, pour distinguer ce qu'il y avait de révolution­naire dans ces explosions d'un prétendu patrio­tisme, pour deviner que cette furieuse envie de rendre à la France son lustre, cachait le désir, non moins vif, d'ôter au Roi sa couronne ? » (1)…  

Le comte de Nesselrode n'avait-il pas raison, au moment même où la Monarchie s'écroulait (le 24 février 1848), de s'exprimer ainsi dans une dépêche diplomatique adressée à Lord Palmerston :

 

« La France aura gagné à la paix plus que ne lui aurait donné la guerre. Elle se verra environnée de tous côtés par un rempart d'États constitutionnels, organisés sur le modèle français, vivant de son esprit, agissant sous son influence... »

 

C'était véritablement cette politique persévé­rante et généreuse, ennemie des excès révolution­naires et amie des évolutions libérales, qui, sous la direction du Roi Louis-Philippe, contribua puissamment au bonheur de la France.

Les adversaires les plus avérés de la monarchie de Juillet l'ont loyalement reconnu depuis. Un écrivain légitimiste des plus distingués, le vicomte Armand de Pontmartin, raconte qu'au temps du tyran Louis-Philippe on aimait à se moquer du Roi sortant avec son parapluie.

... « Qu'y avait-il donc sous ce parapluie ? moi qui n'étais pas de la paroisse, au contraire !... je puis l'avouer, à présent que nos passions sont apaisées, et que, pour être conséquents, nous sommes forcés de nous contredire. Il y avait l'équilibre des pouvoirs ? le respect des libertés et des lois, les vraies conditions de la Monarchie constitutionnelle et du gouvernement au grand jour ; il y avait la sagesse d'un souverain mûri par l'adversité, instruit par l'expérience, admira­blement renseigné sur tous les détails de la poli­tique extérieure et des chancelleries européennes, se débattant contre une situation fausse qui affaiblissait son autorité, au moment où elle lui devenait le plus nécessaire, et l’obligeait de garder l'étiquette révolutionnaire en combattant la ré­volution. Il y avait tout ce qui nous a manqué depuis sa chute : l'allègement graduel de l'impôt du sang, la juste proportion entre les dépenses et les recettes, l'influence assurée aux plus capables, l'exercice des droits, mesuré d'après la faculté de les exercer en connaissance de cause, les ga­ranties données à l'ordre, à l'industrie, au com­merce, à l'agriculture, aux finances publiques, aux fortunes privées. Il y avait enfin l'émouvant spectacle d'un roi, servant de point de mire à tous les artistes en assassinat, se demandant, à chacune de ses sorties, s'il ne sera pas fusillé à bout portant par Barbès ou par Alibaud, par Darmès ou par Meunier, par Lecomte : singulier aveuglement du régicide refusant de comprendre que la mort tragique d’un roi entouré d'une si belle famille était le plus sûr moyen de fonder sa dynastie !...

Un trait peu connu du Roi Louis-Philippe montrera combien ce Prince faisait passer l'intérêt de l'État avant son intérêt personnel.

           Au mois de décembre 1830, M. Lafitte, président du Conseil, avait, d'accord avec tous les ministres, déposé à la Chambre des députés un projet de loi concernant la liste civile du nouveau Roi qui devait être fixée à 18 millions. Ce projet reconnaissant le principe de l’apanage des Ducs d'Orléans, en attribuait la jouissance à l’héritier du trône quand il aurait atteint dix-huit ans, et fixait des dotations pour les autres princes et princesses de la famille royale. Cette disposition donnait, par le fait, au Prince Royal, un revenu de deux millions, en économisant au Trésor toute dotation pour l'héritier présomptif. Aucun président du Conseil n'était plus apte que M. Laffite à le faire voter, grâce à ses nombreuse relations avec les députés de la gauche. S'il n'était plus ministre, la situation changeait. Le Roi le savait ; mais lorsqu'il vit M. Lafitte avoir avec la gauche une politique de concession et de faiblesse qui nuisait au Gouvernement, il n'hésita pas à rassurer le parti conservateur en formant le cabinet où Casimir Périer montra une énergie et une intelligence si, remarquables. Le nouveau ministère crut devoir, avec le consente­ment du Roi réduire de 18 millions à 12 la liste civile du Souverain, écarta le principe de l'apa­nage pour le Prince Royal, et rendit les dotations éventuelles.

Casimir Périer eut, pendant tout son ministère, l'appui ferme et constant du Roi, qui, en véritable Souverain constitutionnel, le soutint, même lors­que ses sentiments étaient blessés, comme lors­que le cabinet le força de sanctionner la loi qui bannissait les membres de la branche aînée de la Maison de Bourbon. Pendant tout son règne, pas un jour, pas une heure, le Roi n'eut d'autre souci que le bien de l'État, négligeant toujours ce qui pouvait le toucher personnellement.

A peine monté sur ce trône qu'il n'avait jamais ambitionné, le Roi ne changea rien à sa vie de fa­mille, et ne modifia ni ses goûts, ni ses habitudes.

Levé à huit heures, il lisait d'abord ses lettres et expédiait les affaires les plus urgentes. Puis à neuf heures, dans son cabinet de toilette, la Reine et ses enfants venaient le retrouver. Pendant que le Roi se rasait lui-même, la conversation était gaie, pleine d'abandon, et il se plaisait à répondre aux questions de ses plus jeunes enfants. Il prenait un soin minutieux de ses dents qu'il avait fort belles. A dix heures, le Roi déjeu­nait sobrement, puis il allait visiter les travaux de maçonnerie que l'on exécutait presque cons­tamment au Palais des Tuileries ou au Louvre. Souvent ses habits étaient couverts de plâtre, car il aimait à s'entretenir avec les ouvriers qui, en exécutant ses ordres, ne se doutaient presque jamais qu'ils parlaient au Roi. On reprochait à Louis-Philippe, dans son entourage, de trop aimer la truelle. - « C'est vrai, disait le Roi à son ministre et ami, le comte de Monta­livet, mais je suis en trop bonne compagnie pour ne pas en prendre mon parti. Saint Louis, François Ier, Henri IV, Louis XIV et Napoléon ont aussi beaucoup aimé la truelle. Qui le sait mieux que moi ? ma truelle, à moi, qu'on fait si infatigable et si prodigue, est insuffisante à restaurer tous les monuments élevés par eux. D'ailleurs, ajoutait-il, c'est un beau défaut pour un Prince que d'aimer à bâtir ; s'il est par là condamné aux quolibets des hommes de loisir, il en est bien consolé par les bénédictions de tous ceux qui travaillent !... »

Ces excursions du Roi se terminaient vers midi, heure à laquelle se tenait le Conseil des ministres. Le Roi y assistait toujours et laissait se développer librement devant lui les opinions les plus contra­dictoires. Louis-Philippe était un de ces souve­rains qui veulent tout savoir, tout connaître, afin de se bien rendre compte de l'état du pays. Un jour M. Thiers, à la fin d'une discussion, disait devant lui : « On ne me trompera pas, Sire, car je suis bien fin... - Soit, répliqua le Roi, mais je le suis plus que vous, car je ne le dis pas ».. Pendant le Conseil des ministres, tout en écoutant attentivement, Louis-Philippe dessinait à la plume, sur une feuille de papier, des figures de fantaisie, qui souvent étaient fort bien faites. Le jour de la tentative d'assassinat d'Alibaud, le Roi avait dessiné un groupe d'oiseaux aquatiques que l'on se disputa après la séance, car ces croquis étaient très recherchés par les ministres, sans que leur auteur se soit jamais douté de la valeur qu'on y attachait.

Après le Conseil, le Roi signait des ordon­nances, examinait quelques affaires, ou se livrait à sa correspondance intime; puis, vers quatre heures, il retournait visiter ses travaux des Tuileries, du Louvre, et, quelques années plus tard, du Palais de Versailles qu'il faisait restaurer magnifiquement (2). Pendant les cinq ou six mois que le Roi passait aux Tuileries, c'était au Louvre qu'il se rendait principalement. Il avait fait établir un salon, avec tous les objets du temps de Henri IV que l'on avait pu retrouver ; car il professait un culte profond pour le Béarnais. Souvent il s'approchait des peintres pendant qu'ils travaillaient. MM. Alaux, Court, Delacroix, Horace Vernet, Couder, recueillaient avec soin les observations toujours justes du Souverain. Il n'oubliait pas qu'en 1793 il avait été professeur de dessin au collège de Reichenau. Un jour, au grand désespoir de M. Couder, il lui fit recom­mencer un tableau pour les galeries de Versailles; représentant la fête de la Fédération en 1790, parce qu'il n'était pas exactement reproduit d'après ses souvenirs, et paya 25 000 francs pour ce travail : « C'est une rature un peu cher, dit-il, mais je la dois à l'histoire ».

Voici comment il s'exprimait devant le comte de Montalivet sur ce tableau de la fête de la Fédération :

« C'est une belle peinture, disait-il au peintre, M. Couder, mais ce n'est point la Fédération de 1790. Vous vous êtes trompé d'époque, monsieur Couder ; en 90, la minorité n'était pas encore devenue maîtresse de la Révolution. Le désordre était sur le second plan, pourquoi l'avoir mis au premier ? tous ces gens-là sem­blent vouloir escalader le trône ou ébranler l'autel de la patrie ; ils ne le feront que trop tôt. Où sont les 130 000 acteurs de cette grande scène, députations accourues des divers points du territoire ? Où est cette acclamation solennelle d'une grande force organisée, qui était alors plus nationale que révolutionnaire ? j'y étais, monsieur Couder ; j'ai vu tout ce que je viens de vous rappeler ; cela vaut mieux que cette journée de près ou de loin. Voilà la vérité de votre sujet, abordez-le franchement, et recommencez votre tableau. »…

Le Roi Louis-Philippe tenait essentiellement à ce que les œuvres d'art exécutées sous son règne fussent une exacte reproduction de la vérité his­torique. Cette anecdote prouve qu'il faisait pour cela tous les sacrifices nécessaires.

Une autre fois, au Palais de Versailles, un peintre lui soumet le projet de décoration d'une salle destinée à perpétuer le souvenir de son gou­vernement. Le Roi lui écrivit : «  …Vos renom­mées sont trop grandes : quelles dimensions réservez-vous à celles de Marengo et d'Auster­litz ? Restons ce que nous sommes. Nous n'en paraîtrons pas plus petits. Représentez l'agriculture, le commerce, l'industrie et les arts protégés ; montrez la paix se reposant sur l'épée de la France, en face de la Loi, domi­nant toutes les situations, même la mienne, et j'ose croire que la postérité reconnaîtra les principaux traits de mon règne. »

C'était là un digne et beau langage. Nous avons vu, hélas ! depuis, d'autres gouvernements élever des statues disproportionnées, entourées de renommées tapageuses : œuvres vides et vaines, que la postérité ne reconnaîtra pas...

Ce Prince, qu'on a si injustement accusé de parcimonie, paya 23 millions et demi, sur sa liste civile, pour la restauration du Palais de Versailles. Il surveilla et dirigea tout lui-même. Comme on lui faisait observer qu'il serait impolitique de consacrer des salles aux souvenirs glorieux de la Restauration, avec les portraits de Louis XVIII et Charles X. - « Non, répondit Louis-Philippe, je ne reculerai pas devant la passion populaire, et je la ferai taire en la bravant. Tout ce qui est honorable pour la France, doit être honoré !... »

La haute impartialité du Roi eut raison de la passion ; les salles furent ouvertes, et l'unanime applaudissement du pays, à la vue du magnifique palais de Louis XIV, sauvé de la destruction et de la ruine, donna pleinement raison à Louis-­Philippe : l'appel fait par la royauté à l'apaise­ment des passions avait été entendu et compris.

         Le Roi remarqua, à l'Exposition annuelle de peinture, une aquarelle signée d'un nom inconnu, représentant un combat en Afrique. L'exécution était bonne, et l'engagement avec les Arabes était rendu avec tant de vérité, que l'œuvre plût beaucoup au Roi qui fit manifester à l'auteur son désir de l'acquérir. Quelle fut sa surprise et sa satisfaction quand on lui nomma le Duc de Ne­mours, soldat de la glorieuse campagne de Cons­tantine, devenu le peintre de l'un de ses épi­sodes. Le tableau fut placé dans le cabinet du Roi. Il fut détruit, comme tant d'autres objets précieux, le 24 février 1848, au pillage des Tuileries (3).

Non seulement Louis-Philippe donnait aux artistes d'importantes commandes, mais, après un rapport annuel, plusieurs d'entre eux durent la croix de la Légion d'honneur à l'intervention personnelle du Roi, et des subventions même furent accordées, sur la liste civile, aux moins fortunés.

Les manufactures de porcelaine de Sèvres, des tapisseries des Gobelins et de Beauvais furent réorganisées avec soin. Le Roi trouva, à la tête de la manufacture de Sèvres, M. Brongniart, l'ami de Cuvier, qui, depuis 1801, dirigeait la manu­facture, où il avait été placé par le premier Consul. Il l'appelait souvent, pour s'entretenir avec lui des moyens de rendre à la manufacture son ancien éclat.

Le Roi, qui était un charmant causeur, aimait à s'entourer d'hommes d'esprit : le comte Molé, qui avait beaucoup vu et vécu à la cour de Napoléon, était un de ceux avec lesquels il s'entretenait volontiers. Quelque temps après la Révolution de Juillet, Louis-Philippe était bien aise de n'avoir plus à subir ces familiarités, ces rudesses, ces rugosités révolutionnaires, démocratiques ou bourgeoises qui, l'a si bien dit A. de Pont­martin, furent probablement le cilice des pre­mières années de son règne. Avec M. Molé, il était sûr de n'avoir pas à entendre comme le bruit des clous d'un soulier ferré : - «  Sire, lui dit un jour le président de la Chambre, M. Dupin, nous ne serons jamais d'accord sur cette ques­tion ! - Je le pensais, monsieur Dupin, mais je n'aurais jamais osé vous le dire… ».

Le gouvernement royal avait les vues les plus hautes en matière religieuse. Si, par une déplo­rable faiblesse des autorités préfectorales, il n'a­vait pu empêcher les excès à Saint-Germain-­l'Auxerrois et à l'Archevêché, en 1831, il voulait que la liberté des cultes fut entière, et M. Guizot déclarait que la première condition pour cela était qu'aucun culte ne fût insulté. Le Duc de Broglie, ministre de l'Instruction publique et des Cultes, évitait avec beaucoup de clairvoyance, par sa modération, les embarras ou les périls de conflits que l'impatience de certains ministres aurait amenés. Il détournait le Roi de s'enferrer dans quelques-unes de ces querelles théologiques où, disait-il : « On ne tarde pas à avoir, contre soi, toutes les bonnes âmes, pour soi, tous les vauriens ». -  « Vous avez bien raison, lui ré­ pondait le Roi ; il ne faut jamais mettre le doigt dans les affaires de l'Église, car on ne l'en  retire pas : il y reste. »… .

Louis-Philippe aimait les lettres, et un des premiers actes de son règne fut d'assurer, sur sa cassette personnelle, une pension aux descen­dants de Corneille : l'Académie française fut chargée de ce soin. Grâce aux bontés du Roi, le républicain Fontan eut ses derniers jours assu­rés, et Charles Nodier put éviter de vendre sa bibliothèque, dont il allait se séparer avec déses­poir. On pourra juger à quel point le Roi favorisa les arts, les lettres et l'industrie, quand on saura que pendant tout son règne, Louis-Philippe al­loua aux musées, aux manufactures royales, au service du mobilier de la Couronne, aux haras, et aux bibliothèques une somme de cinquante millions 868 000 francs, soit en moyenne à peu près trois millions par an.

Ce Prince s'intéressa beaucoup aussi à l'art dramatique et musical : la musique de Grétry, qui avait charmé sa jeunesse, était celle qu'il pré­férait. Ce fut sur son conseil qu'Adam orchestra, selon le goût du jour, Grétry, Richard Cœur de Lion. On le remonta tout exprès pour le Roi, et l’opéra fut joué d’abord au palais de Fontainebleau ; deux ans après, le Déserteur, de Monsigny, était exécuté à Saint-Cloud et aux Tuileries. Il faisait aussi souvent venir aux Tuileries ou à Saint-Cloud les artistes de la Comédie-Française. Celle-ci avait beaucoup de dettes, mais le Roi était son principal créancier, et il lui remit successivement pour 324 000 francs de loyers ; presque mourant, en 1850, il lui faisait encore une nouvelle remise de 124 000 francs. « La Comédie-Française, disait le Roi, est l’orgueil de notre pays ; l'Opéra n’en est que la vanité ». M. Auber venait souvent le mardi aux Tuileries, diriger des concerts qui charmaient Louis-Philippe. Adam, mandé au palais, joua souvent, devant le Roi, qui y prenait un plaisir infini, des morceaux d'Armide, de Gluck, et la célèbre romance de Martini : Plaisirs d’amour. L’auditoire se composait uniquement de la famille royale et de la maison du Roi et de la Reine. On choisissait les vingt-quatre meilleurs élèves du Conservatoire qui chantaient, devant le Roi et Madame  Adélaïde, sa sœur, les œuvres contemporaines de leur jeunesse. Le programme en était toujours arrêté par Madame Adélaïde.

Pour terminer ce tableau de la vie ordinaire du Roi, nous dirons que souvent, en sortant de ses visites aux artistes, Louis-Philippe jetait un regard mélancolique sur la place du Louvre, se rappelant, avec regret, le temps où il parcourait seul les rues de Paris, son parapluie sous le bras, parapluie qu'on a tellement et si injustement tourné en ridicule. Un soir, ayant entendu un de ses aides de camp reprocher à un capitaine de la garde nationale de s'asseoir crotté à la table royale : « Ne lui faites donc pas de repro­ches, il est bien heureux de pouvoir se crotter ainsi... ». Les jours ordinaires, la Reine s'as­seyait seule à table, avec ses enfants et Madame Adélaïde, quand venait l'heure du dîner, car le Roi n'arrivait souvent qu'au milieu du repas. Chaque soir, hors le mardi et le vendredi ré­servés à l'intimité de la famille, les salons des Tuileries s'ouvraient aux ambassadeurs, aux pairs de France, aux députés et à tous les fonction­naires d'un rang élevé. De huit heures à dix heures et demie, le Roi était facilement acces­sible, se plaisant dans les conversations sérieuses et utiles, ayant lui-même une conversation pleine de savoir et d'abandon. Louis-Philippe avait beau­coup vu, il contait bien, et aimait à conter. Lorsqu'un étranger de distinction venait au Pa­lais, le Roi, qui parlait plusieurs langues avec une extrême facilité, lui adressait la parole dans son idiome natal, et il le faisait de manière à sé­duire ceux qui étaient les moins bienveillants.

Vers dix heures et demie, onze heures au plus tard, le Roi retournait dans son cabinet, et, dans l'isolement des premières heures de la nuit, exa­minait les affaires les plus importantes qui lui étaient soumises. Souvent la Reine venait l'arra­cher à ses travaux, et, vers une heure ou deux heures du matin, il se décidait enfin à aller pren­dre quelques heures de sommeil, pour recom­mencer le lendemain sa vie laborieuse.

Louis-Philippe avait des mœurs austères; ja­mais ses ennemis les plus acharnés ne purent attaquer sa vie privée. Doux et bon avec ses ser­viteurs, il tenait à ce qu'ils s'acquittassent exacte­ment de leur tâche. Il exigeait une régularité ponctuelle, beaucoup d'ordre et de propreté. En­freindre ces règles, c'était s'exposer à des re­proches, d'autant plus pénibles qu'ils étaient adressés avec mesure. Ses adversaires eux-mêmes lui ont rendu justice. Victor Hugo, dans un ma­gnifique portrait de ce Roi honnête homme (4) dé­clare qu'il était bon parfois jusqu'à être admi­rable…

« Souvent, au milieu des plus graves soucis, après une journée de lutte contre toute la di­plomatie du continent, il rentrait le soir dans son appartement, et là, que faisait-il ? il prenait un dossier, et il passait la nuit à réviser un procès criminel, trouvant que c'était quelque chose de tenir tête à l'Europe, mais que c'était une plus grande affaire encore que d'arracher un homme au bourreau. Il s'opiniâtrait contre son garde des sceaux; il disputait pied à pied le terrain de la guillotine aux procureurs gé­néraux, ces bavards de la loi, comme il les ap­pelait. Quelquefois les dossiers empilés cou­vraient sa table, il les examinait tous ; c'était une angoisse pour lui d'abandonner ces misérables têtes condamnées. Un jour il disait à un de ses ministres : « Cette nuit j'en ai gagné sept... Pendant les premières années de son règne, la peine de mort fut comme abolie, et l'échafaud relevé fut une violence faite au Roi… Après la machine de Fieschi il s'écriait : « Quel dommage que je n'aie pas été blessé ! j'aurais pu faire grâce ». Une autre fois, faisant allu­sion aux résistances de ses ministres, il écri­vait, à propos d'un condamné politique... « Sa grâce est accordée, il ne me reste plus qu'à l'obtenir ». Louis-Philippe était doux comme Louis IX et bon comme Henri IV.

 

(1) Derniers Samedis, par A. de Pontmartin.

(2) La restauration du Palais de Versailles, commencée en 1833, fut achevée en 1837, et l'inauguration eut lieu à l'occasion du mariage du Duc d'Orléans.

(3) Rappelons que les dévastations qui eurent lieu dans le domaine privé de Louis-Philippe, le 24 février 1848, s'élevèrent, pour les bâtiments, objets d'art, bibliothèques, mobilier, écuries et caves, au chiffre total de 6 938 051 francs.

(4) Les Misérables, par Victor Hugo.


à suivre

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6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 06:14
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le huitième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE VIII 
La Révolution de Juillet. - Déclaration des députés. - Le Duc d'Orléans à Neuilly puis à Paris. - Abdication de Charles X. - Le Duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume. ­La mission du colonel Caradoc auprès de Charles X. Cu­rieux détails. - Les dépêches du Duc de Wellington. - Hé­sitations du Duc d'Orléans. - Louis-Philippe Ier, Roi des Français. - Traits de bonté envers la branche aînée de la famille royale. - Lettre du Roi s'opposant à la confiscation de Chambord. - Courage de Louis-Philippe pendant l'émeute du 6 juin 1832. - Les trois députés chez le roi. ­Sa popularité.

 

Pendant que le peuple combattait à Paris, et que les régiments de la ligne passaient à l'insur­rection à la vue du drapeau tricolore, le Duc d'Orléans se tenait à Neuilly entouré de sa famille, à l'exception du Duc de Chartres qui se trouvait à Joigny avec le régiment dont il était colonel. Chaque coup de canon produisait la plus vive émotion: « Pauvre Paris ! Pauvre France !... » s'écriait douloureusement le Prince.

Le jeudi 29, le Louvre et les Tuileries étaient pris comme la veille l'avait été l'Hôtel-de-Ville; on annonça, à onze heures, à Neuilly, la retraite des troupes sur Rambouillet où était Charles X. MM. Dupin et Persil, députés, vinrent le lende­main apprendre au Duc d'Orléans qu'une quaran­taine de députés, réunis chez M. Laffitte, avaient résolu de conférer au Prince le titre de lieutenant-­général du royaume, en l'invitant à se rendre immédiatement à Paris. Voici quel était le texte exact de la résolution prise par les députés :

 

La réunion des Députés actuellement à Paris, a pensé qu'il était urgent de prier S.A.R. Monseigneur le Duc d'Orléans de se rendre dans la capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant-général du royaume et de lui exprimer le vœu de conserver les couleurs nationales. Elle a, de plus, senti la nécessité de s'occuper sans relâche d'assurer à la France, dans la prochaine session des Chambres, toutes les garanties indispensables pour pleine et entière exécution de la Charte.

Paris, ce 30 juillet 1830 (1).

 

Suivent les signatures.

La Duchesse d'Orléans et Madame Adélaïde répondirent que le Duc n'était plus à Neuilly. Il ne revint du Raincy que le soir, et lut, au flambeau, dans le parc, la résolution des quarante députés auxquels, depuis le matin, s'étaient joints beau­coup de leurs collègues. Inspiré par le seul désir de sauver Paris et la France du désordre qui pouvait suivre une insurrection si formidable, le Duc d'Orléans, accompagné de MM. de Berthois, Heymes et Oudard, vêtus tous en bourgeois, avec la cocarde tricolore, rentra au Palais-Royal, le 30 au soir, par la maison de la rue Saint-Ho­noré, 216, n'entendant sur son passage, à tous les postes, que les cris de : « Vive la Charte! ». Le lendemain matin, 31 juillet, la lutte avait cessé, et on lisait sur tous les murs la pro­clamation suivante :

 

Habitants de Paris !

Les Députés de la France, en ce moment réunis à Paris, m'ont exprimé le désir que je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant-général du royaume. Je n'ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre héroïque popu­lation et à faire tous mes efforts pour vous préserver des calamités de la guerre civile et de l'anarchie.

En rentrant dans la ville de Paris je portais avec orgueil les couleurs glorieuses que vous avez reprises et que j'avais moi-même longtemps parlées.

Les Chambres vont se réunir et aviseront aux moyens d'assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation.

La Charte sera désormais une vérité.

LOUIS-PHILIPPE D'ORLÉANS.

 

Les députés se rendirent officiellement, en corps, au Palais-Royal, pour saluer le Prince et l'accompagner à l'Hôtel-de-Ville. Le Duc d'Or­léans, à cheval, traversa au pas une foule immense qui l'acclamait sur son passage, et telle était sa popularité que pas un cri discordant ne retentit. Il fut reçu à l'Hôtel-de-Ville par la commission municipale, parut au balcon avec le général de Lafayette, tenant à la main le drapeau tricolore et, quand il revint au Palais-Royal, l'ovation fut telle, qu’il eut peine à s'y soustraire. Et cet enthousiasme du peuple parisien était sincère, car dans cette foule, sans police pour la maintenir, un attentat impuni eût été si facile !...

Le soir, à neuf heures, la Duchesse d'Orléans et ses enfants arrivaient au Palais-Royal.

La première ordonnance du lieutenant-général prescrivit de reprendre les couleurs nationales, et la seconde, de convoquer les Chambres pour le 3 août.

Charles X confirma cette nomination de lieu­tenant-général du royaume, à Rambouillet, par ordonnance royale du 1er août, et, dans la nuit du 2 au 3 août, le Duc d'Orléans reçut la double abdication du Roi et du Duc d'Angoulême en faveur du Duc de Bordeaux. Le 3 eut lieu l'ou­verture des Chambres, et le 4, le Moniteur annonça que la double abdication de Charles X et de son fils avait été déposée aux archives de la Chambre des Pairs.

Pourquoi le Prince insista-t-il pour le dépôt aux archives de l'acte d'abdication du roi Char­les X, alors qu'il avait déjà le pouvoir en mains, sans le titre de Roi qu'on allait lui offrir ? Parce que, quoiqu'en aient dit certains écrivains, le Duc d'Orléans, soutenu en cela énergiquement par la Duchesse d'Orléans, envisageait avec peine, avec douleur même, la nécessité dans laquelle il allait se trouver d'être Roi. On a cru, chez ce Prince honnête et grand politique, à une ambition démesurée, et à je ne sais quelle cons­piration permanente contre les aînés de sa race. Nullement, et nous allons prouver que c'est bien malgré lui qu'il fut proclamé Roi des Français le 9 août 1830.

A peine le Duc d'Orléans avait-il reçu la double abdication dans la soirée du 2 août, qu'il s'adressa à lord Stuart, ambassadeur d'Angleterre à Paris, pour qu'il autorisât un officier anglais, le colonel Caradoc (depuis lord Howden), attaché à l'ambassade d'Angleterre, à aller trouver Charles X de la part du nouveau lieutenant-général du royaume. Lord Stuart et le colonel Caradoc y consentirent, et le fait est relaté en détails dans deux publications (2).

Voici ce qui se passa :

Le colonel se rendit au Palais-Royal le 3 août, et le Duc d'Orléans lui remit un billet qui fut cousu dans le collet de son habit ; il était ainsi conçut : « Croyez, sire, tout ce que le colonel Caradoc vous dira de ma part. Louis-Philippe d’Orléans ». Le colonel, malgré les ordres sévères donnés aux barrières, parvient sans passeport à sortir par la barrière de l’Etoile, où il était connu. Il prend la poste, et arrive à deux heures de distance de l'endroit où Charles X et la famille royale s'étaient arrêtés pour passer la nuit, puis il monte à cheval et continue sa route à travers champs. Charles X le reçoit avec empressement el lui demande avec anxiété des nouvelles de Paris. L'officier anglais lui raconte tout ce qu’il sait, remet au Roi des journaux et, lui montrant la lettre du Duc d'Orléans, lui fait part des propositions de son cousin. Puis il fait entrevoir au Roi que la présence du jeune Duc de Bordeaux aux côtés du lieutenant-général était indispensable pour rendre courage à ses partisans, et décider la Chambre des Pairs à se prononcer. Il lui fait remarquer quelle importance avait le dépôt aux Archives de l'acte d’abdication, ca il rappelle à tous qu'un enfant innocent est enveloppé dans le naufrage de la Monarchie. Il insiste pour ramener avec lui le Duc de Bordeaux. Le Roi fait immédiatement mander la Duchesse de Berry, la met au courant de la situation, et lui déclare qu'il est tout disposé à accepter. La Du­chesse de Berry fait les plus vives objections, et ajoute qu'elle ne croirait jamais l'enfant en sû­reté loin d'elle-même. Le colonel se retire alors, et deux heures après, repart pour Paris, pendant que trois commissaires, MM. de Schonen; Odilon-Barrot et le maréchal Maison, nommés par le Gouvernement provisoire à Paris, arrivaient au­près de Charles X pour protéger sa retraite jus­qu'à Cherbourg, où toute sa famille s'embarqua avec lui le 16 août.

Les trois commissaires s'acquittèrent avec tact de leur délicate mission, et purent prévenir des excès auxquels une population égarée et surexcitée aurait pu se livrer. M. Odilon-Barrot raconte, dans ses Mémoires, qu'à la fin de ce voyage, la Du­chesse de Berry faisant sans doute allusion à la mission du colonel Caradoc, lui avait dit : « Que serait-il arrivé si je m'étais rendue à l'Hôtel-de-­Ville, et si j'avais placé le Duc de Bordeaux sur les genoux du Duc d'Orléans ? - Madame, ré­pondit-il, il est probable que ni vous, ni moi, ne serions ici.

Le duc de Wellington était alors le chef du ministère anglais, et les événements qui se pas­saient à Paris le plaçaient dans une situation difficile. C'était au moment des élections générales anglaises et de l’agitation réformiste. L’excitation des esprits était extrême contre les torys, et le duc de Wellington sentait bien que le pouvoir allait lui échapper. Il était à la fois de mauvaise humeur contre Charles X et contre le gouvernement provisoire français, redoutant les complications qui peut-être allaient surgir, et compromettre la paix de l'Europe. Des instructions très nettes avaient été envoyées à l'ambassadeur d’Angleterre à Paris, lord Stuart de Rothsay, lui prescrivant la neutralité la plus absolue. Il fut donc très irrité quand lord Aberdeen lui envoya une lettre de l'ambassadeur et le rapport dans lequel le colonel Caradoc rendait compte de la mission qui lui avait été confiée par le Duc d'Or­léans. Aussi, dans sa réponse à lord Aberdeen, le août 1830, le duc de Wellington ne cache pas sa mauvaise humeur...

 

« Lord Stuart ne paraît pas se douter que dans l'état où se trouve Paris, ce qui peut être vrai un jour ne l'est plus le lendemain. Lorsque le Duc d'Orléans demandait que le Duc de Bordeaux fut laissé en France auprès de lui, et indiquait que c'était la seule chance de sauver la dynastie, l'intervention de lord Stuart aurait pu servir à quelque chose, à la condition de ne pas mettre en cam­pagne une des personnes attachées à l'ambassade, et même, dans ce cas, cette intervention de l'ambassadeur aurait été contraire aux intentions de son gouvernement et aux principes que ce gouvernement a toujours soute­nus. Mais c'était au moment où il recevait l'acte d'ab­dication du Roi, que le Duc d'Orléans s'était adressé à lord Stuart. Les événements accomplis entre cet ins­tant et le départ du colonel Caradoc tendaient à établir en France un nouvel ordre de choses, et à faire passer la couronne au Duc d'Orléans. C'est alors que le colonel Caradoc presse Charles X de laisser en France son petit-­fils, en lui disant que c'est le seul moyen d'amener le peuple à se prononcer en sa faveur !

Supposons que le Roi suive ce conseil, et qu'il laisse en France son petit-fils, qu'un parti se déclare pour lui, et que la guerre civile s'ensuive ? Sur qui portera la responsabilité ? Nous aurons beau jurer nos grands dieux que nous n'y sommes pour rien, personne ne voudra croire que lord Stuart ait agi sans ordres, et l'on sera convaincu que nous avons voulu pousser à la guerre civile. Supposons que le jeune Prince vienne à périr, nous serions à jamais déshonorés. Mon seul espoir est que le bon sens du Roi Charles X, et son affection pour son petit-fils, l'empêcheront de suivre le conseil absurde qu'on lui donne, et de prêter l'oreille aux détestables arguments qu'on emploie pour le convaincre. »

 

Le 16 août, le duc de Wellington écrit encore à lord Aberdeen : ...

 

« Je ne crois pas que nous puissions laisser lord Stuart à Paris. Son intervention auprès de Charles X sera connue aussitôt que les Commissaires qui ont accompagné ce Prince à Cherbourg seront de retour, et le gouvernement anglais sera compromis par cette folle démarche. Nous ne pouvons avouer que Louis-Philippe désirait voir le Duc de Bordeaux rester en France, et que lord Stuart s'est chargé de communiquer ce désir au Roi. Nous n'avons donc pas autre chose à faire que de le rap­peler... »

 

Il restera donc acquis à l'histoire que le Duc d'Orléans, avant d'accepter la couronne, chercha à faire proclamer Roi le Duc de Bordeaux. Était-il sincère ? Ses actes dans les jours qui suivirent la Révolution de Juillet le prouvent. Que l'on veuille bien remarquer que le colonel Caradoc, messager du Duc d'Orléans, n'était pas seulement chargé de demander que le Duc de Bordeaux restât en France, mais de le ramener à Paris avec lui, si Charles X y avait consenti. Le Duc d'Orléans était ainsi dans l'impossibilité de se délier. Or, le Prince devait croire que le Roi accueillerait d'autant mieux l'envoyé, que c'était un diplomate connu de lui, et de nature à lui inspirer toute confiance. On a vu plus haut qu'en effet Charles X songea à remettre le jeune prince au colonel Ca­radoc ; il le savait homme d'honneur, et l'inter­vention de l'ambassade anglaise dans cette affaire était une garantie de la sincérité du Duc d'Or­léans.

Il est évident que la présence du jeune Duc de Bordeaux à la Chambre des députés, aux côtés du nouveau lieutenant-général du royaume, entrant, tenant par la main le royal enfant, aurait donné du courage à ses partisans et aurait peut-être décidé les Chambres en faveur d'Henri V. La publication de l'acte d'abdication de Charles X au Moniteur rappelait aussi à ceux qui se pré­paraient à disposer du trône, qu'un enfant inno­cent était enveloppé dans le naufrage de la mo­narchie, et mettait l'opinion publique en demeure de se prononcer.

Le colonel Caradoc revint à Paris, et parut fort surpris que le Duc d'Orléans ignorât encore l'échec de sa mission auprès de Charles X. Il rendit compte en détails, à Louis-Philippe, de l'insuccès de sa démarche et du refus absolu op­posé par la Duchesse de Berry.

Le nouveau lieutenant-général du royaume avait eu soin, jusqu'alors, de donner constam­ment au nouveau gouvernement un caractère essentiellement provisoire. Dans ses proclama­tions, dans ses discours à l'Hôtel-de-Ville et aux Chambres, il ne parlait que du respect dû à la Charte, et de la nécessité de la maintenir. Le Moniteur lui ayant fait dire dans sa proclamation : Une Charte sera désormais une vérité, il faisait rectifier le lendemain et insérer ; le lieutenant-­général a dit : La Charte sera désormais une vérité.

Le Duc d'Orléans avait su choisir pour la dé­licate mission auprès de Charles X le colonel Caradoc, qu'il considérait comme un loyal, in­telligent et brave officier ; cette mission ayant échoué, on lui fit observer que le provisoire ne pourrait durer longtemps sans laisser tous les partis livrés à de folles espérances, et exposer ainsi le pays à des déchirements intérieurs qui amè­neraient la guerre civile. On insista de toutes parts pour qu'une résolution décisive fut prise, main­tenant que toute entente était devenue impossible avec la branche aînée de la Maison de Bourbon.

Le Duc d'Orléans attendit cependant encore un jour avant de céder, s'entretint de la situation avec le prince de Talleyrand, et fit prendre l'avis des principaux membres du Corps diplomatique accrédités à Paris, lord Stuart de Rothsay, le comte Pozzo di Borgo, le baron de Werther, le comte Appony. Ceux-ci envisagèrent la Révo­lution de 1830 comme le pendant de la Révolu­tion de 1688 en Angleterre ; ils engagèrent donc vivement le Duc d'Orléans à accepter la couronne. On assure même que, dans une entrevue secrète au Palais-Royal, M. Pozzo di Borgo dit au lieute­nant-général : « Acceptez la couronne, Mon­seigneur, c'est le plus grand service que Votre Altesse Royale puisse rendre à l'Europe, à l'ordre et à la paix ».

Frappé par ces unanimes sympathies, et aussi par les nouvelles de la province, où le nouvel état de choses avait été acclamé, où la vue du drapeau tricolore provoquait partout un enthou­siasme indescriptible, le Duc d'Orléans accepta enfin résolument le nouveau rôle qu'il était appelé à remplir après cette révolution prévue par lui, mais qu'il avait tout fait pour empêcher, en donnant à Charles X des conseils qui ne furent jamais écoutés.

Le 9 août 1830, les Chambres appelaient au trône Louis-Philippe d'Orléans, Duc d'Orléans. Celui-ci, après avoir prêté serment à la Charte constitutionnelle, fut proclamé Roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Peu de jours après, Charles X étant sans res­sources, envoya un de ses amis à Paris, pour emprunter 600 000 francs. Celui-ci s'adressa au nouveau Roi, en lui montrant le message où il était dit que Charles X avait besoin de 600 000 francs en or, et que le porteur devait faire en sorte de les lui procurer. Louis-Philippe écrivit immédiatement au baron Louis, ministre des finances, en déclarant qu'il couvrirait le trésor de cette avance, et les 600 000 francs furent remis entre les mains du général X., qui les porta le jour même à Charles X, sans lui dire comment il avait pu se les procurer. Trois se­maines plus tard, le Roi Louis-Philippe rachetait le haras de Meudon au Duc d'Angoulême, le payant 100 000 francs, le double de l'évaluation présentée par l'administrateur du haras, au nom du prince. Enfin, l’année suivante, le Roi Louis­-Philippe apprit qu’une partie des effets de Charles X avait été saisie en Écosse, que la liberté même du vieux Roi était compromise. Un de ses créanciers de la première émigration, M. de Pfaffenhoffen avait vainement réclamé devant les Chambres françaises pendant toute la Restauration, de 1815 à 1830 , et poursuivant son royal débiteur, il s’armait de toute la rigueur des lois françaises et anglaises. Louis-Philippe fit rechercher, sans tarder, l’impitoyable créancier, avec ordre à son mandataire, de traiter à tout prix avec lui. L’affaire, activement conduite par M. Casimir Périer, fut heureusement et  promptement terminée. Au moyen du paiement immédiat de 100 000 francs, et de la constitution d'une rente annuelle et viagère de 10 000 francs payable par avance, le comte de Pfaffenhoffen renonça au bénéfice du jugement qu'il avait obtenu en Écosse contre le Roi Charles X. Ce Prince ignora tou­jours les dangers qu'il avait courus.

Un peu plus tard, on voulut confisquer Cham­bord, et le Roi Louis-Philippe s'y opposa avec énergie. Voici ce qu'il écrivait alors de sa propre main :

 

Je préviens Monsieur le Président du Conseil des Mi­nistres, que ma conscience et mon serment ne me per­mettant pas de sanctionner aucune mesure contraire à. la Charte, je regarderais comme synonyme de la confis­cation, qu'elle a proscrite impérativement, tout séquestre et toute obligation de vendre des biens possédés en France, quel que fût le délai alloué pour faire ses ventes, car, selon ma conscience, toute obligation de vendre est une confiscation.

LOUIS-PHILIPPE.

Ce mercredi, 23 mars 1831.

 

Noble et beau langage chez un souverain n'hé­sitant pas à s'opposer à ses ministres et à se montrer plus soucieux du respect absolu de la propriété que ne devait l'être un autre Chef d'État en 1852.

Le Roi félicita vivement le Président du tribunal de Blois, M. Bergevin, député de Loir-et-­Cher en 1846, du jugement fortement motivé, par lequel le tribunal maintenait M. le Comte de Chambord en possession du château et de la terre que le Gouvernement avait prétendu le forcer à aliéner.

L'année suivante, en juin 1832, la France entière put constater combien était grande alors la popularité du Roi Louis-Philippe.

Les républicains, qui sentaient leur cause perdue dans l'opinion publique, crurent la rétablir par une insurrection. Les obsèques du général La­marque servirent de prétexte. Dans la soirée du 5 juin 1832, des barricades furent élevées dans les rues Montmartre, Saint-Denis, Saint-Martin, et le cloître Saint-Méry fut le centre de la résistance.

Dès que le Roi eut connaissance, à Saint-Cloud, de la gravité des événements, il dit à la Reine, qu'il partait pour Paris. Celle-ci lui répondit qu’elle l’y accompagnerait. Mais  Louis-Philippe, sans attendre que l’escorte fut prête, monta à cheval à 9 heures et demie du soir, suivi seulement de quelques­ officiers. Des paysans, sur la route, le saluèrent des cris de : « Vive le Roi !... il n’a pas peur, c’est un brave !...     .

Dès son arrivée aux Tuileries, il visita les postes, et de là se rendit au Carrousel, où élait la première légion de la garde nationale et un régiment de ligne. Partout il fut chaleureusement acclamé : « Que ne puis-je, disait-il, parcourir ainsi toutes les rues ! ma présence ferait plus que les coups de fusil, mais on m'attaque, je dois me défendre. Au reste, mes amis, soyez tranquilles, tout cela sera peu de chose, car le peuple est avec nous !...    

A minuit, les ministres étaient réunis au Palais des Tuileries, et demandaient que la ville fut immédiatement déclarée en état de siège. Le Roi fit ajourner la décision au lendemain. A 6 heures du matin, il alla voir les gardes nationales de la banlieue, qui étaient descendues à Paris pendant la nuit.

Le 6 juin à 11 heures, Louis-Philippe montait à cheval, accompagné du maréchal Soult, ministre de la guerre, et du comte de Montalivet, ministre de l'intérieur. Il passa en revue les troupes réu­nies sur la place de la Concorde et les Champs-­Élysées. Puis il suivit les boulevards jusqu'à la place de la Bastille, se rendit à la barrière du Trône, en parcourant le faubourg Saint-Antoine, et revint, par les quais, aux Tuileries.

Si la cause du Roi n'eût pas été populaire, elle le serait devenue dans cette journée, de l'aveu même de l'opposition. Près de la rue Planche-­Mibray, un coup de fusil fut entendu à une cin­quantaine de pas du lieu où se trouvait le Roi. On lui fit observer qu'il s'exposait beaucoup : « Mes enfants sont ma meilleure cuirasse, ré­pondit-il ». D'une barricade peu éloignée, on vit un ouvrier agiter sa casquette, en criant : « Bravo, le Roi !... et peu après, la barricade était aban­donnée par des hommes qui comprenaient déjà la folie de leur criminelle tentative.

Pendant que la garde nationale et l'armée risquaient leur vie pour la défense de l'ordre, trois députés de l'opposition, MM. Laffitte, Arago et Odilon-Barrot sollicitaient une audience du Roi : elle leur fut accordée sur l'heure. On verra plus loin comment nous sommes en mesure d'éclaircir, par un document autographe venant du cabinet du Roi, un des points essentiels de cette conversation qui, en somme, n'était qu'une longue récrimination et une injuste critique de tous les actes du Gouvernement.

Pendant ce temps, le canon grondait : Fardeur de la garde nationale, qui montra un courage remarquable, et qui fut vigoureusement secondée par l'armée, amena promptement la fin de cette émeute. La lutte la plus sanglante avait eu lieu au cloître Saint-Méry et rue Saint-Martin. Quand la tranquillité eût reparu, la mise en état de siège de Paris fut établie pendant quelque temps, sur les nouvelles instances de M. Thiers, malgré l'avis contraire du Roi, qui ne céda que lorsque la majorité du Conseil des ministres se fût 'pro­noncée pour cette mesure.

Grâce à la sagesse, à l'habileté et à la crois­sante popularité de Louis-Philippe, non seule­ment l'émeute fut réprimée partout, mais le gou­vernement s'affermit, appuyé, soutenu, encouragé par la province autant que par Paris. La pré­sence du Roi dans les rues, son courage froid, tranquille, pendant l'émeute, son affabilité avec les habitants qui l'approchaient très facilement, et qui pouvaient tous l'entretenir quelques instants, enthousiasmèrent la garde nationale et la popu­lation.

Il y eut, plus tard, d'autres émeutes, les factieux sont incorrigibles, mais le peuple, qui sait se souvenir, résista longtemps aux plus violentes excitations et soutint la monarchie jusqu'au jour où le Roi, trop confiant et vieilli, laissa ses nouveaux ministres, Thiers et Odilon-Barrot, re­fuser au maréchal Bugeaud le droit d'écraser une poignée d'insurgés. Que ne se souvenait-il de 1832 !...

 

              (1) La pièce originale fait partie de la collection d'autbographes de M.le marquis de Flers: Le fac.similé en est reproduit ci-contre.

              (2) Correspondance de Donoso Cortez publiée en 1880 par le comte d'Antioche, clans uu volume intitulé : Deux diplomates.

             - Dépêches, correspondances et mémorandums du feld-maréchal, duc de Wellington, 2e série, tome VII. (Le tome VII a paru à Londres en 1878.)

 


 

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20 septembre 2008 6 20 /09 /septembre /2008 00:37

 

Un Vigineix cité en 1793... dans un livre

 

Extrait du livre Un chef-lieu du district du Puy-de-Dôme pendant la Révolution de Jean Reynouard paru en 1923.

 

Nous reprenons un passage concernant les 29 et 30 sep­tembre 1793 à Lyon où apparaît le nom d'un Vigineix...

Mais la journée du 29 septembre fut bien autrement dure. Le soir même, un membre du Comité de Salut public, à la suite de l'armée (Moulin faisait partie de cette délégation et il fut remplacé à Ambert, le 5 octobre, par l'abbé Parel, curé consti­tutionnel d'Egliseneuve), délégué par le District de Besse, écri­vait :

« Tous nos bataillons ont combattu avec un courage égal. Ils ont tous concouru à remplir cette victoire qui doit à jamais anéantir le fédéralisme et assurer la liberté et l'égalité... »

Il y eut des tués et des blessés, mais en petit nombre.

Cependant, c'est probablement ce jour-là que Besseyre-­Laprade, commandant du bataillon de Besse, fut blessé. Nous avons peu de précisions à cet égard (1). Toutefois, il est certain que le Directoire du district de Besse en fut informé et qu'il envoya, séance tenante, Antoine Moner, de Besse, courir au Mont-Dore pour y prendre le « brancard » dont disposait cette station thermale, et, avec le citoyen Antoine Roux, de cette localité, ils se rendirent d'urgence à Lyon pour y prendre le commandant Laprade et le ramener à Besse. Cette dépense (250 livres + 43 livres), nettement détaillée, figure aux comptes établis par le District de Besse à l'occasion de la levée en masse, et dont nous avons déjà parlé.

D'autre part, aux archives départementales, on trouve aussi la lettre ci-dessous adressée à Besseyre-Laprade au District de Besse, en remerciement :

« Ambulance près Lyon, 10 octobre 1793, l'an II de la République.

« Aux citoyens administrateurs du district de Besse,

« Personne n'est plus sensible que moi aux nouvelles mar­ques de bonté que vous venez de me témoigner dans cette cir­constance. Personne n'en sent plus que moi le prix. C'est dans ces sentiments que je vous prie de me croire, pour la vie, votre égal en droit : Laprade.

« Je n'ai pu profiter du brancard, tous s'y sont opposés dans (sic) danger de mourir en chemin. »

Plus tard, Besseyre-Laprade demanda au District à être envoyé aux bains du Mont-Dore pour y prendre des douches que nécessitaient les douleurs consécutives à sa blessure, « coup de feu à la jambe droite » (c'est ainsi que nous connais­sons la nature de cette blessure), et à bénéficier des faveurs qui étaient faites aux militaires infirmes par blessure de guerre (1er fructidor an II).

C'est très certainement à la suite de cette blessure que le commandement du bataillon de Besse passa à Gachet.

Voici, en effet, la lettre qu'il écrivait, ce même jour 29 sep­tembre, aux administrateurs du District de Besse, qu'il signe pour la première fois de son titre de commandant du bataillon et dans laquelle - chose curieuse - il ne parle pas de la blessure de Besseyre-Laprade. Peut-être en avait-il écrit une première le matin même pour donner ces renseignements, lettre qui ne se trouve plus aux archives, et probablement, dans ces conditions, considérait-il comme inutile de les rappeler dans sa lettre du soir :

« Quartier général de Sainte-Foy, le 29 septembre.

« Citoyens,

« Ce matin, au point du jour, nous avons attaqué et enlevé les redoutes des rebelles placés à Sainte-Foy, avec beaucoup de suc­cès... A 10 heures du matin, tous les bataillons de l'armée ont battu la charge et se sont portés à Lyon. Notre bataillon, que je commande, a avancé jusqu'aux murs de Saint-Just, mais un bataillon de volontaires aussi avancé que le nôtre s'étant replié, nous avons été forcés d'en faire autant... (Il annonce pour son bataillon deux morts et six ou sept blessés : Vigineix, du Chambon et Verneyre, de Berthelage, sont morts à leur poste.)

« ...Les rebelles se souviendront de la journée du 29. La liberté inspire et donne à ceux qui combattent pour elle toutes les connaissances de la tactique. Moi qui n'ai jamais été canon­nier, j'ai placé une pièce qui leur a été bien funeste, surtout à leur cavalerie... A 6 heures du soir, j'ai retiré mon bataillon de la position où il était et l'ai conduit à Francheville pour y pas­ser la nuit... Lyon n'a jamais mieux brûlé qu'aujourd'hui ; ses flammes nous servaient de chandelles. Je crois que bientôt nous aurons fini.

« Je suis, avec fraternité, votre concitoyen : Gachet. »

 

(1) Fr. Mège n'a point relevé cet incident qui n'est d'ailleurs intéres­sant que pour l'histoire locale de Besse.

 

Le petit Viginet, n°25, juin 2008
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2 septembre 2008 2 02 /09 /septembre /2008 07:59
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le septième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE VII
Le Duc d'Orléans encourage les lettres et les arts (1817-1830). - Bonnes relations avec le Duc de Berry. - Trait de géné­rosité. - Monument de Corneille à Saint-Roch. - Éducation des jeunes Princes, ses fils. Ses observations sur les cahiers de ses fils. - Louis-Philippe pendant le règne de Charles X. - Sa réserve et ses sages conseils au Roi. - Bal au Palais-­Royal (29 mai 1830). - Les ordonnances du 26 juillet 1830.

 


            De retour en France, le Duc d'Orléans se con­sacra tout entier au soin d'élever ses enfants, et de liquider la lourde succession de son père, afin que les créanciers ne perdissent rien. Ami des lettres et des arts, il s'entoura de toutes les nota­bilités, et l'accueil le plus bienveillant fut fait aux peintres : Gérard, Gros, Géricault, Girodet, Horace Vernet, aux écrivains, notamment à Ca­simir Delavigne et à Alexandre Dumas qui faisait jouer son Henri III avec succès au Théâtre-­Français. Il savait aussi avec un tact et une dé­licatesse rares, consoler et indemniser les esprits indépendants de la persécution ou de l'injustice du Gouvernement.

 

Les relations du Duc et de la Duchesse d'Orléans avec la Famille Royale étaient excellentes.

« Le Duc de Berry avait toujours eu les meil­leurs sentiments pour le Duc d'Orléans et pendant l'émigration l'avait toujours défendu contre les rancunes des royalistes intransigeants. A partir de 1817, les rapports devinrent fréquents et in­times entre le Palais-Royal et l'Élysée. La Duchesse d'Orléans aimait à raconter qu'en 1819, au moment de la naissance de Mademoiselle, M. le Duc de Chartres, entendant les premiers coups de canon, avait dit : « C'est ma femme ou mon roi qui vient au monde. » Après son réta­blissement la Duchesse de Berry, dès qu'il lui fut permis de sortir, se rendit au Palais-Royal avec son mari pour remercier Mme la Duchesse d'Or­léans de ses soins. On amena Mademoiselle. Elle était sur les genoux de la gouvernante des enfants de France, quand le Duc de Berry, se souvenant de la réflexion du jeune Duc de Chartres, lui dit : « Chartres, allez donc embrasser votre femme ». Le jeune Prince rougit, mais n'avança point ; on s'amusa de sa timidité (1).

Beaucoup d'anciens militaires, débris de nos grandes armées, blessés pour la plupart, étaient réduits à la misère, pauvres honteux qui souf­fraient en silence. Un bureau de secours fut établi au Palais-Royal, pour venir en aide à toutes les infortunes. Un jour un des secrétaires du Duc d'Orléans lui demanda un secours de cinq cents francs pour un homme de lettres. Le Prince, pré­occupé, parlait d'un important discours prononcé par le Président du Conseil : l'entretien se pro­longeait, quand on vint avertir le Prince qu'il était attendu à son Conseil. « A propos, dit-il, vous m'avez demandé mille francs pour une famille malheureuse ? - Mille francs ! Monseigneur, c'est une erreur qu'il faut bien se garder de re­lever. - Vous avez raison, mon ami ; les erreurs des Princes coûtent souvent si cher, que je ne suis pas fâché que la mienne profite à ces pauvres gens. » Et au lieu de cinq cents francs, il remit un billet de mille francs. Le Duc d'Orléans rece­vait chez lui les grands orateurs libéraux des deux Chambres comme le général Foy, Dupin, Laffitte, Casimir Périer, le duc de Broglie ; il ne déguisait pas son opinion sur les fautes du gou­vernement, et quand l'occasion s'en présentait, il s'en expliquait franchement avec le Roi.

Il n'avait pas oublié son vieux compagnon d'armes, le général Dumouriez, et lui servait une pension de six mille francs en Angleterre, où l'an­cien vainqueur de Valmy mourut, en 1823, âgé de 85 ans.

Les cendres du grand Corneille reposaient à l'église Saint-Roch, non loin du Palais-Royal. Aucune inscription ni monument ne le désignait. Le Duc d'Orléans y fit placer le beau médaillon en marbre que l'on voit aujourd'hui, offrant en bas-relief l'image de Corneille.

Le Prince voulut que ses fils profitassent de l'éducation publique. Il les envoya de bonne heure suivre les cours des collèges, à Paris. Confondus avec les autres élèves, ils ambitionnaient, comme eux, les prix universitaires et apprenaient à ne pas connaître que des cour­tisans. Louis XVIII eut, à cette occasion, un mo­ment de mauvaise humeur, quoique le Duc d'Or­léans lui eut rappelé qu'Henri IV avait été envoyé aux écoles publiques du Béarn, et plus tard, le Prince de Condé, à Paris. Des professeurs, MM. de Boismilon, Larnac, Trognon, Cuvillier-Fleury, s'occupaient spécialement, en dehors du collège, des répétitions et des récréations des jeunes Princes. Louis-Philippe se faisait remettre chaque jour des notes sur le travail et la conduite des enfants, et toujours elles étaient renvoyées avec des observations écrites de sa main. Ces notes sont vraiment curieuses ; elles ont été écrites de 1820 à 1824 (2). En voici quelques-unes : M. de Boismilon écrit :

 

Jeudi, 30 mars 1820.

Le Duc de Chartres (alors âgé de dix ans) n'a pas assez de tenue avec Becker, et fait souvent bien des choses qui rebutent cet excellent homme, il est vrai que c'est en badinant, mais il arrive à un âge où il est bien impor­tant qu'il s'habitue à une sorte de réserve et de maintien dans ces rapports-là.

 

Le Duc d'Orléans inscrit au-dessous :

 

Je dirai à Chartres qu'on ne doit badiner qu'avec ceux à qui leur position dans le monde permet de nous le rendre. Or, comme Becker doit nécessairement s'en abs­tenir avec lui, il y a, à la fois inconvenance, mauvais goût, et défaut de tact à se le permettre avec lui. C'est, en outre, un mauvais exemple à donner à ses frères et sœurs, et il faut que Chartres se corrige absolument de cette mauvaise habitude.

 

Lundi 19 avril 1824. (Sur le Prince de Joinville âgé de six ans.) Écriture et calcul. Bien. Idem pour le rudiment et l'allemand au soir. Catéchisme, rudiment, explication, conjugaisons latines : Bien. Mal, pour l'emploi du temps. Conduite : il n'a pas été docile en promenade. Il a encore cueilli des fleurs dans le parc, quoique Monseigneur l'ait réprimandé hier à ce sujet.

 

Le Duc d'Orléans ajoute :

 

Si Joinville continue à s'amuser à la dévastation, il me forcera à prendre des mesures sévères pour l'en corriger. II ne doit rien cueillir sans en avoir demandé et obtenu la permission. Il s'est bien conduit dans le bateau, et en considération de cette bonne conduite, je lui pardonne le reste pour cette fois. J'espère qu'il ne me donnera pas lieu de regretter cette indulgence.

 

Jeudi, 22 avril 1824.

Le travail du matin a été très bien. Avant sa leçon d'allemand, il m'a promis qu'on serait content de lui, il m'a tenu parole : On a été très content de lui et il semble avoir voulu effacer les deux mauvaises notes consécutives qu'il avait eues.

Le travail du soir a été presque aussi bien.

La conduite est à l'unisson du travail.

 

Le Duc d'Orléans écrit après ces lignes :

 

J'ai été aussi fort content de l'effet que lui ont fait mes exhortations d'hier et celles de sa tante ce matin. J'es­père que cet effet sera durable, et il s'en trouvera bien, car nous l'en aimerons tous davantage.

 

Un autre jour on reproche encore au jeune Prince de Joinville d'avoir la mauvaise habitude, quand il entre quelque part, de se mettre en pos­session de toutes les clefs qu'il trouve sous sa main, et son père l'en réprimande.

...

Si nous nous sommes étendus sur ces menus détails, c'est pour montrer combien était véritable et grande cette sollicitude de tous les instants du Duc d'Orléans pour ses enfants dès leur plus jeune âge, combien il surveillait de près leur première éducation. Nous verrons plus tard que Louis-Philippe en fit, non seulement des Princes, mais des hommes éminents, des militaires braves, hardis, intrépides au feu, et dignes en tous points de leur père, comme de leurs aïeux.

Depuis le mariage du Duc de Berry avec une nièce de la Duchesse d'Orléans, la princesse Marie-Caroline de Naples, le Duc d'Orléans pa­raissait un peu plus souvent à la cour. Mais Louis XVIII ne l'aimait pas, et lui refusa obsti­nément le titre d'Altesse Royale. Le Prince était qualifié Altesse Sérénissime, pendant que la Duchesse d'Orléans était Altesse Royale !... Louis XVIII redoutait l'immense popularité du Duc d'Orléans, ce Prince qui répondait, lorsqu'on était surpris de voir dans sa galerie de tableaux les batailles de Montmirail et de Champaubert : « C'est que j'aime tout ce qui est français ! ».

Charles X, à son avènement au trône (1824), répara l'injustice de Louis XVIII : le Duc d'Or­léans reçut le titre d'Altesse Royale, et le Roi per­mit au Prince de Condé d'assurer le domaine de Chantilly, avec sa fortune, au quatrième fils du Duc d'Orléans, le Duc d'Aumale (né le 16 janvier 1822). Deux ans après, la Duchesse d'Orléans donnait le jour à son cinquième fils, le Duc de Montpensier (31 juillet 1824).

Cependant Charles X, cédant à de funestes conseils, accumulait fautes sur fautes. Après avoir renvoyé le ministère présidé par M. de Mar­tignac, homme d'État d'un grand mérite, qui aurait consolidé le trône, il prit, contre le vœu des Chambres, un cabinet de combat, dont la présidence fut donnée à M. de Polignac. La Chambre dissoute le 17 mai 1830, l'armée fran­çaise en route pour venger l'affront du Dey d'Alger à notre consul, le gouvernement se crut maître de la situation. Il allait bientôt être cruel­lement déçu.

Le 31 mai, le Duc d'Orléans reçut chez lui Charles X au Palais-Royal. Le bal était donné en l'honneur du roi de Naples, de passage à Paris. La fête était superbe ; toute la famille royale y assistait. C'est à ce bal que le comte de Salvandy, félicitant le Duc d'Orléans, lui dit cette phrase devenue célèbre : « C'est une fête toute napoli­taine, Monseigneur, car nous dansons sur un volcan. - Je le crois comme vous, lui répondit le Prince, mais je n'aurai pas à me reprocher de ne pas avoir ouvert les yeux au Roi ; que voulez-vous ! rien n'est écouté. Je ne sais où nous mènera cette politique dans six mois, mais je sais bien où je serai. Ma famille et moi nous ne quitterons pas le Palais-Royal, quelque danger qu'il puisse y avoir à y demeurer; je suis décidé à ne plus séparer mon sort, et celui de mes enfants, de celui de mon pays ; c'est mon irrévocable résolution. »...

Les élections eurent lieu, et la défaite du gou­vernement fut complète. Les 221 membres de l'opposition furent tous réélus. On n'attendait plus que la nouvelle de la prise d'Alger. Le canon annonça la victoire, et dans le Te Deum à Notre-­Dame, l'archevêque de Paris osa dire au Roi que « cette victoire était le présage d'une plus impor­tante encore ».  

Le dimanche 25 juillet, Paris était calme. Tout à coup le lundi 26 paraissent les ordonnances royales, qui supprimaient les garanties essen­tielles de la liberté, inscrites dans la Charte. Il ne convient pas à notre sujet de raconter en dé­tails la Révolution de Juillet. Nous nous bornerons à retracer brièvement le rôle joué par le Duc d'Orléans, et l'impartiale histoire doit recueillir les efforts peu connus, faits par ce prince pour déterminer Charles X à lui confier le Duc de Bordeaux, dont il aurait été le régent.

Mais remontons quelques jours en arrière.

« Dix jours avant le 31 juillet, M. de Sémonville se promenant après le dîner, dans le parc de Neuilly, avec le Duc d'Orléans, profita d'un mo­ment où M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie, s'éloignait, pour dire au Prince : - Monseigneur, avez-vous des chevaux ? - Sans doute, pourquoi la question ? - Des chevaux de main je n'en doute pas, mais des chevaux de poste ? -  Que voulez-vous que j'en fasse ? – Ah ! c’est que d'ici peu de jours vous en aurez besoin. - Vous croyez, demanda le Prince, avec une expression singulière. - Oui, vous aurez à faire un de ces trois voyages, Saint-Cloud, Paris ou Londres. ­– Ah ! bah ! Sémonville, il (3) vient d'envoyer les lettres closes,... il n'y a rien à craindre... Venez mercredi, faire votre visite de digestion ; vous verrez qu'il n'y aura rien de plus...

Le mercredi indiqué, M. de Sémonville ne pût pas faire sa visite, parce que... c’était le 28 juillet ! mais le samedi suivant le Duc d'Orléans montait à cheval et faisait le voyage... de l'Hôtel-de-­Ville (3). »

 

(1) La Cour de Louis XVIII,par Imbert de Saint-Amand ; chez Dentu, éditeur.

(2) Les pièces originales font partie de la collection d'autographes de M. le marquis de Flers.

(3) Le Roi Charles X venait de convoquer les Chambres.

(4) Mémorial de l'Hôtel-de-Ville de Paris (1830), par M. Hippolyte Bonnelier, ancien secrétaire de la commission municipale, gouverne­ment provisoire (Paris, Houdaille, éditeur, 1835).


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19 mai 2008 1 19 /05 /mai /2008 05:00
Livre du marquis de Flers paru en 1891, E. Dentu éditeur, Librairie de la Société des gens de lettres.
Ceci n'est que le sixième chapitre d'une série de douze.

LE ROI LOUIS-PHILIPPE
VIE ANECDOTIQUE
1773-1850

par le Marquis de Flers
 

CHAPITRE VI
Le Duc d'Orléans en Espagne. - Naissance du Duc de Chartres (septembre 1810). - Avènement de Louis XVIII (avril 1814). - Arrivée du Duc d'Orléans à Paris. - Arrivée en France de la Duchesse d'Orléans et de ses enfants (août 1814). ­Les Cent Jours. - Louis-Philippe à Lille. - Instructions patriotiques du Prince aux commandants de place. - Opinion de Napoléon sur le Duc d'Orléans. - Départ du Prince pour l'Angleterre. - Séjour en Angleterre (1815-1817) ; Retour en France (mars 1817).

            Après seize années d'une existence bien agitée, le Duc d'Orléans jouissait, dans un calme nou­veau pour lui, d'une vie tranquille et heureuse auprès de sa femme qui l'aimait tendrement, et qui allait bientôt le rendre père. Cela ne dura que peu de mois. Pendant son court voyage à Cadix, en 1808, le Duc d'Orléans, avec son futur beau-frère, le prince Léopold, avait montré un véritable coup d'œil politique et exposé devant les Espagnols des connaissances militaires qui l'avaient mis en grande estime auprès des chefs du gouvernement insurrectionnel en Espagne. Ceux-ci envoyèrent le 5 mai, à Palerme, une députation pour lui offrir le commandement en chef de l'armée de Catalogne.
Napoléon, quoiqu'il fût en France au faîte de la puissance et de la gloire, n'était pour l'Europe que l'oppresseur et l'ennemi commun, objet de haine autant que de terreur, tandis que le peuple espagnol, dans la lutte héroïque qu'il soutenait contre lui, était l'objet d'une admiration et d'une sympathie universelles : Sa cause était la cause sacrée de l'indépendance des nations, celle pour laquelle, sous un autre drapeau, le Prince patriote avait, en 1792, combattu dans les armées républi­caines. Là encore, il crut pouvoir et devoir la servir, et il partit pour la Catalogne. Mais ceux qui l'avaient appelé, ne tardèrent pas à l'aban­donner : l’esprit démocratique des Cortès ne vou­lut point des services d'un prince ; s'étant inves­ties elles-mêmes du titre souverain de Majesté, elles craignaient l'ombre de tout pouvoir qui eût pu rivaliser avec le leur ; le Duc d'Orléans revint vers la fin d'octobre à Palerme. En y ar­rivant, le Duc d'Orléans eut la joie d'apprendre la naissance de son fils aîné, Ferdinand-Philippe, Duc de Chartres. Le roi Ferdinand IV et la Du­chesse douairière d'Orléans furent son parrain et sa marraine.
Reconquérir le royaume de Naples sur Murat, telle était la pensée constante du Roi Ferdi­nand IV et de la Reine Marie-Caroline. Mais celle-ci, maladroite politique, ne conseillait au souverain que des mesures pouvant exciter la colère et la jalousie des Siciliens et le mécon­tentement des Anglais. Personne n'écoutait les avis très sages du Duc d'Orléans ; des impôts vexatoires furent créés, et l'Angleterre ayant appris que pour se débarrasser de la flotte an­glaise, Marie-Caroline cherchait à négocier, soit avec Murat, soit même avec Napoléon, exigea son exil. La Reine partit le 15 juin 1813. Le Duc et la Duchesse d'Orléans, retirés à la campagne, voyaient se réaliser leurs tristes prévisions. Ils montrèrent beaucoup de prudence et un grand tact, placés entre leur attachement pour la Si­cile, et leurs devoirs envers Leurs Majestés Sici­liennes.
Tout à coup, le 23 avril 1814, le vaisseau an­glais l’Aboukir arrive avec des dépêches qui an­noncent l'abdication de Napoléon, et à Paris, la proclamation de Louis XVIII, Roi de France. Le Duc d'Orléans entre brusquement chez la Duchesse en criant : « Bonaparte est fini ! Louis XVIII est rétabli ; je peux partir pour Paris, un bâtiment est mis pour cela à ma disposition !... » Après être allé au palais des Colli, annoncer la grande nou­velle au Roi Ferdinand IV, qui montra une joie excessive, le Duc d'Orléans quitta Palerme à la fin d'avril.
            Arrivé à Paris, le 18 mai, le Prince se logea dans un hôtel de la rue Grange-Batelière jusqu'à ce que les appartements que le Roi avait ordonné de lui préparer au Palais-Royal, fussent prêts. Ce palais était dans un état de délabrement et de dégradation difficile à décrire : il avait servi, pen­dant tout l'Empire, de dépôt, pour les objets d'ameublement que le gouvernement commandait aux fabriques de Paris dépourvues d'ouvrage. Le Prince ne put résister, dès son arrivée, au désir de revoir la demeure de ses ancêtres, qui lui rappelait tant de souvenirs, et qu'il avait quittée à la fin de 1792. Sans prendre le temps de se reposer, il traverse la rue de Richelieu, pénètre par le passage Beaujolais dans le jardin où il se promène avec joie. Après avoir fait le tour des galeries du Palais-Royal, il entre par la cour des Colonnes et, s'adressant au suisse, encore revêtu de la livrée impériale, il ne se nomme point et peut, non sans peine, franchir le seuil de son palais. Quel ne fut pas l'étonnement du suisse, quand il vit le Duc d'Orléans, en proie à une vive émotion, tomber à genoux et baiser les marches du grand escalier... Le lendemain, le Duc d'Or­léans portait ses félicitations et son loyal hom­mage au Roi Louis XVIII. Le Roi le reçut avec bienveillance en lui disant : « Il y a vingt-cinq ans vous étiez lieutenant-général ; vous l'êtes en­core »... L'ordonnanceavait été signée le 15 mai.
Au mois de juillet 1814, le Prince, accompa­gné du baron Atthalin, et du comte de Sainte-Aldegonde, qu'il avait attachés à sa personne en qualité d'aides de camp, arrivait à Palerme. Il s'était embarqué sur le vaisseau de ligne fran­çais La Ville de Marseille. Le 27 juillet, la Du­chesse d'Orléans avec son jeune fils, le Duc de Chartres, et ses filles, la Princesse Louise (1) et la Princesse Marie (2), montait à bord du bâtiment, saluée par les acclamations et les vœux du peuple, qui conserva toujours fidèlement son souvenir. Son état de grossesse avancée (elle devait mettre au monde, le 25 octobre suivant, le Duc de Ne­mours) lui commandait de voyager, autant que possible, par eau. Le Duc et la Duchesse d'Orléans remontèrent le Rhône jusqu'à Arles, s'arrêtant successivement à Avignon, Valence, Vienne et arrivèrent à Lyon, le 4 septembre, où ils furent reçus par le maréchal Augereau. Le 9, ils s'em­barquèrent sur la Saône, qu'on quitta à Châlons, pour achever à petites journées le voyage par terre, jusqu'à Paris.
L'accueil le plus gracieux fut fait à la Duchesse d'Orléans par Louis XVIII, et toute la cour ap­prenant bientôt à la connaître dans ses réceptions au Palais-RoyaI, rendit un public hommage à sa parfaite bienveillance et à la haute dignité de ses manières. Une année n'était pas écoulée que le retour de Napoléon, de l'île d'Elbe, allait remettre en question l'avenir de la Maison de Bourbon.
Il n'est pas dans notre sujet de retracer ici par quel enchaînement de fautes le gouverne­ment de Louis XVIII rendit si facile le débarque­ment de Napoléon à Fréjus, et sa marche triom­phale jusqu'à Paris où il arriva le 20 mars, sans qu'il fût possible de lui opposer la moindre troupe. Le 5 mars dans la soirée, le Duc d'Orléans avait été précipitamment et mystérieusement mandé au château des Tuileries, par le Roi, qui lui ap­prit le débarquement de Bonaparte, et lui donna l'ordre de partir le 6 pour Lyon, afin d'y orga­niser la résistance avec le Comte d'Artois, frère du Roi. Le Duc d'Orléans obéit ; mais quand il fut démontré aux deux princes que toute résis­tance était impossible, le Duc d'Orléans revint à Paris le 12, déclarer au Roi qu'il était prêt à le servir ailleurs, et à partager sa bonne comme sa mauvaise fortune. Pressentant que la situation deviendrait de plus en plus grave, il fit secrète­ment partir sa famille pour l'Angleterre. Dé­barquée à Londres, après une rude traversée, et la princesse Louise étant gravement malade, la Duchesse d'Orléans ne revit son mari que le 3 avril, après que le Roi se fut établi en Bel­gique. Le 16 mars, le Duc d'Orléans assista au Conseil tenu pour décider de quel côté se di­rigerait Louis XVIII, et il combattit fortement l'avis de ceux qui voulaient que le Roi se retirât derrière la Loire. Nommé au commandement en chef de l'armée du Nord, le Duc d'Orléans, ac­compagné du maréchal Mortier, duc de Trévise, son ancien compagnon d'armes en 1792, visita les places de Cambrai, Douai et Lille. Le 20 mars, le prince envoya à tous les commandants des places du ressort de son commandement les instruc­tions suivantes : « Faire céder toute opinion au cri pressant de la patrie ; éviter les horreurs de la guerre civile ; se rallier autour du Roi Louis XVIII et de la Charte constitutionnelle, et surtout n'ad­mettre, sous aucun prétexte dans nos places, des troupes étrangères. »  Enfin, dans une dernière proclamation, il déclarait que « Quelles que fus­sent les dissensions intérieures qui pussent dé­chirer la patrie, il concourrait avec elle, de tout son pouvoir, à la défense des places contre les étrangers, s'ils tentaient de s'en emparer ou de s'y introduire d'une manière quelconque. »
On rapporte qu'en lisant ces documents, Napo­léon fut surpris et dit : « Je ne croyais pas de tels sentiments au Duc d'Orléans. Après tout, lui, du moins, n'a jamais porté les armes contre sa pa­trie. »
Le Duc d'Orléans, averti de l'entrée de Napo­léon à Paris, se rendit néanmoins à Valenciennes le 21, et retourna à Lille pour y recevoir le Roi le 22. Sur l'avis du maréchal Mortier, Louis XVIII crut prudent de quitter Lille sans tarder. Le 23 mars, à trois heures, il fit ses adieux au Duc d'Orléans et au maréchal sans leur laisser aucune instruction. « Faites tout ce que vous jugerez bon de faire !... » tels furent ses derniers mots. Le Duc d'Orléans se démit de son commandement, en écrivant au maréchal une lettre empreinte d'un tel patriotisme, que Napoléon ne put s'em­pêcher de dire : « … Cette lettre à Mortier fait honneur au Duc d'Orléans ; celui-là a toujours eu l'âme, française... »
Le Duc d'Orléans prit congé de ses aides de camp en leur disant : « Allez reprendre la co­carde nationale, je m'honore de l'avoir portée, et je voudrais pouvoir la porter encore… »  Puis, accompagné de la princesse Adélaïde, sa sœur, il rejoignit sa famille en Angleterre. Dès le 2 mai, on alla à Richmond, puis, peu après, à Twicken­ham, où le Duc et la Duchesse d'Orléans et leur famille passèrent deux ans. Tout d'abord, ils éprouvèrent une vive émotion à la nouvelle de la bataille de Waterloo (18 juin 1815) et devant la joie bruyante du peuple anglais, ils se tinrent à l'écart.
Le parti de l'émigration reprochait au Duc d'Orléans de ne pas s'être rendu à Gand auprès de Louis XVIII. Le Prince, pressentant quelle réaction violente allait avoir lieu à Paris, y passa seul le mois d'août, puis revint en Angleterre auprès des siens. Quand l'esprit de modération prévalut dans les Conseils du Roi, en 1810, le Duc d'Orléans se disposa à rentrer dans son pays, et à faire cesser un exil qui n'était que volon­taire, quoique l'on ait prétendu à tort le contraire.
Au commencement de 1817, il échangea les écuries de Chartres contre le château de Neuilly qui était entré dans le domaine de la Couronne. La Duchesse d'Orléans et ses enfants arrivèrent le 15 août au Palais-Royal et s'installèrent peu après à Neuilly, dont le magnifique jardin et les beaux ombrages plurent beaucoup à la Princesse. Elle était alors, enceinte, et le 3 juin 1817, y mit au monde, une fille, Madame la Princesse Clé­mentine (qui devait épouser plus tard le Duc de Saxe-Gobourg et Gotha). Au mois de mai 1818, la mort d'une enfant, née en Angleterre en 1816, la petite princesse Françoise, lui fit connaître une douleur ignorée jusqu'alors. La naissance du Prince de Joinville, le 14 août 1818, fut pour la Duchesse d'Orléans une compensation que lui envoya la Providence.
 
(1) Née le 3 avril 1812 ; elle épousa Léopold Ier, Roi des Belges, et mourut le 11 octobre 1850.
(2) Née le 12 avril 1813 ; elle épousa le Duc Alexandre de Wur­temberg et mourut le 2 janvier 1839.
 
 

 
 

 
 

 

 

 
 

 
 

 
 

 
 
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